Paul Voise est mort. Je respecte sa mémoire.

Depuis onze ans, nos interrogations subsistent. Je pense qu'il est utile d'y revenir, parce qu'il faut toujours rechercher la vérité et parce que cette "affaire" reste, à bien des égards, emblématique.

Paul Voise est mort et nous ne saurons sans doute jamais s'il emporte avec lui des secrets, et quels secrets. Nous ne connaissons toujours pas les auteurs de l'agression dont il fut victime le 18 avril 2002, à deux jours de l'élection présidentielle. Le visage de Paul Voise, à la télévision, a ému la France.

Ce fait divers pourtant n'était pas le plus grave de la période - ni d'ailleurs d'autres périodes. Loin s'en faut. Paul Voise est sorti de l'hôpital un jour et demi après y être entré. Anthony Gautier écrit dans le livre qu'il a consacré à cette affaire : "Comparé à l'assassinat du brigadier Régis Ryckebusch abattu le 10 avril 2002 au commissariat de Vannes, comparé au meurtre de Guy-Patrice Bègue, ce père de famille de 38 ans, tué à Evreux le 8 mars par les "racketteurs" de son fils, dans un règlement de comptes, l'acte de violence dont fut victime "Papy Voise" méritait-il autant d'attention ?". Evidemment non, et pourtant on a parlé de ce dernier acte cent fois davantage sur les médias que des deux précédents. Trop souvent - hélas - des actes de violence, des viols, des meurtres ont lieu dans les 101 départements français dont on parle cent fois, mille fois moins que l'on a parlé de cette affaire dans les médias nationaux.

Cela renvoie à la notion d'"information". Qu'est-ce qu'une information ? Ce n'est pas seulement un fait brut. C'est un fait qui, parmi beaucoup d'autres, est mis sur le devant de la scène. Les médias locaux - qu'il s'agisse de la République du Centre, de FR3, de Radio France ou du correspondant de l'Agence France Presse à Tours - ont d'ailleurs mis ce fait divers à sa juste place. Ce sont les médias nationaux qui, dûment alertés, ont choisi de monter en puissance, et même en grande puissance, cette agression. D'où la question qui se pose évidemment : comment, à deux jours, à un jour des présidentielles, cette image a-t-elle pu devenir l'information essentielle - ou l'une des informations essentielles - venant devant tout autre sujet national ou international sur TF1 et passant en boucle (le reportage a été diffusé 19 fois sur LCI dans la même journée) ?

Question liée à la première : comment les caméras ont-elles pu être introduites au Centre Hospitalier Régional d'Orléans (CHRO), ce qui suppose toujours une autorisation des autorités en place ?

Plusierus journalistes ont enquêté sur ces questions. Deux d'entre eux ont affirmé que Florent Montillot, adjoint à la sécurité à Orléans, avait appelé les équipes de télévision, ce que l'intéressé a démenti. Il a toutefois affirmé être dans le quartier très tard le soir de l'agression et déclaré à Régis Guyotat (Le Monde du 23 avril 2003) : "J'avais autre chose à faire. J'ai passé une grande partie de la journée à accompagner les journalistes sur les lieux" - ce que Richard de Vendeuil commente ainsi dans l'Express : "Un demi aveu ?". Je me bornerai pour ma part à remarquer que le rôle d'un élu n'est pas celui d'un attaché de presse. Pourquoi, d'ailleurs, les journalistes venus de Paris s'adressent-ils à lui pour trouver des "lieux" qu'il n'est pas difficile de trouver ? Pourquoi bénéficient-ils en outre de son "accompagnement" ?

En dépit des investigations menées par nombre de journalistes (et dont fait justement état le site Wikipedia : "Affaire Paul Voise"), nous n'en savons pas plus sur les raisons de cet extraordinaire emballement médiatique en cette période extrêmement sensible. Dix ans après, le directeur de l'information de TF1 (et de LCI), a reconnu sur Europe 1 que le traitement de cette affaire était une "faute". Il a déclaré à la République du Centre (le 17 avril 2012) : "Objectivement, ce fait divers, TF1 n'aurait pas dû le traiter (...). Il méritait d'être mentionné comme une brève, c'est tout. En 16 ans de responsabilité à TF1, j'ai connu deux ou trois dérapages : cette affaire en fait partie, c'est une blessure".  Pour tardives qu'elles soient, ces déclarations sont importantes. Elles doivent inciter à la vigilance à une heure où, par rapport à ce que nous avons connu il y a onze ans, le souci de l'"immédiateté" a beaucoup progressé sur les médias et les réseaux sociaux. A-t-on même le temps de vérifier, de mettre en perspective, de jauger non seulement de la véracité mais de la pertinence d'une information avant qu'elle soit immédiatement diffusée ?

On ne saura jamais l'effet que cette "faute" - avouée - aura eue sur le résultat d'une présidentielle où, à la surprise générale, Jean-Marie Le Pen a dépassé Lionel Jospin. Mais qui dira que cela n'aura pas eu d'effet ?

Pour être compplet, j'ajoute qu'une autre explication doit être prise en compte, qui tient aux sondages. Beaucoup de ceux qui n'ont pas voté Jospin au premier tour l'ont fait en considérant qu'ils pourraient le faire au second tour pour la simple raison que Lionel Jospin était devant Jean-Marie Le Pen dans les sondages. Mais l'écart se réduisait. Et on avait - on a toujours d'ailleurs - le tort de ne pas publier les marges d'erreur (ou marges d'incertitude) des sondages. Or ces marges, en plus ou en moins, étaient égales voire supérieures à l'écart qui apparaissait entre l'une et l'autre candidature. Résultat : l'analyse des marges d'erreur permettait de voir très facilement que les courbes pouvaient s'inverser. Mais on l'ignorait. C'est pourquoi je milite pour que l'on publie obligatoirement les marges d'erreur des résultats des sondages. Une proposition de loi, votée à l'unanimité par le Sénat, prévoit de l'imposer. Elle est en attente à l'Assemblée Nationale.

Jean-Pierre Sueur.

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