mes-nippes-gabriel-bergounioux-9782876735576Gabriel Bergounioux, professeur de sciences du langage à l’Université d’Orléans, vient de publier un livre intitulé Mes nippes dans lequel il se livre, suivant d’illustres prédécesseurs, à une expérience littéraire qui pourrait paraître banale, mais ne l’est pas. Il s’agit, comme l’explique le texte publié sur la quatrième de couverture, de restituer « les lambeaux de langage qui nous traversent », les images mentales qui se succèdent en nous, se suivent, se bousculent, s’interposent, disparaissent pendant quelques minutes ou une heure de notre vie consciente. Quelques dizaines de pages permettent de rendre compte des « pensées éparpillées pendant quatre-vingt-dix minutes » (page 220). Et, s’agissant de la mémoire, Gabriel Bergounioux s’interroge sur les raisons pour lesquelles « j’ai vraiment eu devant moi, à tel instant, ce détail venu du passé et pas cet autre, ni plus ni moins important » (page 190).
On suit donc notre auteur dans ses pérégrinations, du campus d’Orléans La Source à la gare d’Orléans, on le suit dans la navette – disparue – qui mène aux Aubrais, à la gare d’Austerlitz, à Paris où sa marche et ce qu’il voit, pense, se remémore aussi, donne lieu à des relevés méthodiques. On oscille entre Antoine Roquentin « ballotant de mornes pensées », la phénoménologie, les « vies minuscules » et le Parti pris des choses. Les références sont constantes, nombreuses. Gabriel Bergounioux est un être pétri de langage et de littérature.
La littérature est toujours là, comme façonnée par l’effort et le scrupule introspectifs. Je pense à cette description de la gare d’Austerlitz « dans son décor Second-Empire de verrière sale et de porte boulonnée, de croisillons métalliques et de briques à chaînage, sous la lumière trouble que la saleté accumulée sur les vitres restituait » (page 50).
Je songe à cette description d’un site que les Orléanais reconnaîtront avec « sa cascade en faïence blanche et bleue au milieu des tours édifiées en carré et dévalant vers la Loire, avec ses bassins à sec remplis de canettes et de journaux » (page 113).
Je songe encore à l’évocation de la grève des éboueurs d’Orléans et du « hobereau de robe élevé sur la place qui a la responsabilité de ce dossier » et qui « se crispe à l’idée d’augmenter les salaires » (page 86) (et je ne cite pas toute la phrase !).
Mes nippes, un livre et aussi une expérience littéraire qui donnent à penser.

Jean-Pierre Sueur

 

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