Untitled-1 52049x1Après avoir mené le parcours politique que l’on sait, mais un avocat défendant la cause des « simples gens » souvent perdus dans les dédales de nos palais de justice.
Dans un premier livre, il a décrit la justice des mineurs, telle qu’il l’a vécue et vue de près. Ce livre, exceptionnel, s’intitule « Pas de quartier ? Délinquance juvénile et justice des mineurs ».
Par un nouvel ouvrage, Pierre Joxe récidive – si l’on peut dire ! – en se penchant sur une justice dont on parle peu, qui fait rarement la « une » des journaux, une justice oubliée, délaissée : la justice sociale.
Le titre du livre, paru aux éditions Fayard, est déjà tout un programme : « Soif de justice : au secours des juridictions sociales ».
Au travers de nombre de témoignages précis, Pierre Joxe décrit la misère, le manque de moyens, les délais beaucoup trop longs, qui caractérisent ces juridictions que sont : les tribunaux des affaires de sécurité sociale, les tribunaux du contentieux de l’incapacité, les commissions départementales d’aide sociale et, pour certaines affaires, les tribunaux administratifs.
Pierre Joxe écrit : « J’ai pu constater l’insuffisante « justiciabilité » de nombreux droits sociaux dans bien des situations, et même l’absence de toute justiciabilité – et donc, finalement de tous droits – pour les « cas sociaux » en état de pauvreté et de précarité extrêmes » (…) « Si ces (…) secteurs sont si mal traités, c’est parce qu’ils sont les parents pauvres d’une justice pauvre » (p. 15).
S’agissant des conseils de prudhommes, il nous livre ces constats : « Sur le plan national, la durée moyenne de traitement des affaires au fond (…) est de quatorze mois, mais cette moyenne recouvre d’énormes disparités » (p. 134). « Il en va de l’essence même du droit du travail et de sa fonction de protection des salariés. Comment envisager l’efficacité d’un droit si la sanction tombe quatre ans après un « licenciement sans cause réelle et sérieuse », à supposer que l’entreprise n’ait pas disparu et que ses actifs n’aient pas été liquidés ? ». (p. 137).
Face à ces situations éloquemment décrites, témoignages à l’appui, Pierre Joxe fait deux propositions concrètes.
D’abord « la création d’un ordre de juridictions sociales, à côté de nos traditionnelles juridictions judiciaires » (p. 282).
Et ensuite, un plan sur vingt ans pour rattraper le retard accumulé. Je pense qu’il a tout à fait raison quand il écrit que « certaines politiques publiques ne portent leurs fruits qu’à long terme, à condition d’être poursuivies sans relâche » (p. 294).
Il est, en effet, vain de prétendre rattraper les retards dans le court terme (même si certaines mesures très significatives peuvent être prises, comme le montre Christiane Taubira en créant 300 postes de conseillers de probation, postes si nécessaires pour lutter contre la récidive de ceux qui sortent de prison).
Mais la question est posée au politique – et aux politiques : est-il possible de mener dans la continuité des plans de grande ampleur en poursuivant avec ténacité des programmes et des projets qui s’imposent à l’évidence au-delà des aléas des conjonctures et de la succession des gouvernements ? C’est, en effet, une certaine idée de la politique qui est en jeu dans la réponse que l’on donne à cette question.

Jean-Pierre Sueur

.