lamyA tous ceux qui s’inquiètent d’une véritable « neurasthénie » française, notre pays, qui recèle pourtant tant d’atouts pour surmonter les difficultés présentes, je me permets de signaler le livre que Pascal Lamy vient de publier chez Odile Jacob et qui s’intitule : « Quand la France s’éveillera ».
On le sait, Pascal Lamy fut un collaborateur de Jacques Delors, il fut cinq ans commissaire européen et dix ans directeur général de l’Organisation mondiale du commerce. L’intérêt de son livre est qu’il n’est pas centré sur notre Hexagone, mais présente les potentialités de la France vues du monde.
Le plan de son ouvrage est simple : une partie sur le monde, une seconde partie sur l’Europe et une troisième sur la France.
On y apprend combien le monde change, beaucoup plus rapidement que nous l’avions pensé : « En 2012, pour la première fois depuis le XVIIe siècle, la richesse produite par le Sud a surpassé celle produite par le Nord » (p. 20).
On parlait naguère des « pays sous-développés » qu’il fallait « aider ». L’aide internationale est toujours indispensable. Mais on a assisté à une réduction « sans précédent » de la pauvreté : « En vingt ans, (…) 700 millions de personnes sont sorties de l’extrême pauvreté ».
Le fort développement des pays émergents (Chine, Inde, Brésil, etc.) est incontestablement positif. Il n’est pas sans conséquence. « En Inde, le nombre de nouveaux ingénieurs diplômés chaque année avoisine les 300 000. Soit près de la moitié du nombre d’ingénieurs français en activité » (p. 30).
Ce monde nouveau souffre de « l’absence de régulation » des « entreprises financières » qui ont pu « réaliser des superprofits » en « distrayant de l’investissement productif trop de ressources financières et humaines » comme « les subprimes, véritables mines à retardement sophistiquées, disséminées dans les bilans » (p. 45).
L’Europe, elle, avec ses 500 millions d’habitants représente « le plus grand PIB du monde » et « plus du quart des échanges mondiaux » (p. 57). L’Europe a des atouts, des chances immenses, que nous méconnaissons trop : « L’Europe, c’est 7 % de la population mondiale, 25 % de la production mondiale et 50 % des dépenses de sécurité sociale dispensées dans le monde ».
Pascal Lamy plaide pour plus d’Europe. Le programme « Erasmus », difficilement adopté, a bénéficié à trois millions d’étudiants européens. Les demandes sont bien supérieures aux bourses offertes : il faut, sans hésiter, en augmenter le nombre. Il doit en aller de même pour les bourses « Marie-Curie » vouées à la recherche. Rien n’est plus nécessaire et plus précieux que de développer la recherche européenne.
Il plaide aussi pour une Europe plus lisible, plus proche des citoyens, pour une gouvernance européenne plus claire et plus simple.
Et la France ?
Elle a, pour Pascal Lamy, de solides raisons de sortir de la « dépression collective ».
Pascal Lamy écrit que le « rapport biaisé que la France entretient avec le monde dont elle se considère la victime est (…) à la fois un alibi et un obstacle majeur aux initiatives qu’il serait nécessaire de prendre » (p. 116).
Il note que « les pays les plus efficaces dans la mondialisation sont ceux qui combinent le mieux l’ouverture internationale, la régulation et l’égalité : Suède, Norvège, Finlande, Danemark, Canada, Autriche » (p. 118).
Contrairement aux idées reçues, Pascal Lamy rappelle que la France enregistre son plus important déficit commercial « avec des pays – Allemagne, Belgique, Italie – qui ont la même monnaie, qui ont peu ou prou les mêmes conditions sociales de production (salaires, conditions de travail…) » (p. 132), alors que « la France dégage un excédent avec le reste du monde » (p. 133), hors importations énergétiques. Il conclut : « Dénoncer les pays émergents comme les coupables des difficultés françaises relève soit de l’ignorance, soit de la mauvaise foi populiste » (p. 133).
Contre les idées reçues, Pascal Lamy rappelle aussi que la France a accueilli dans les dix dernières années, « 6 500 nouveaux investissements étrangers » qui ont créé « 300 000 emplois » (p. 145).
Il conclut en énumérant les réformes institutionnelles et économiques indispensables qui sont, pour lui, à la portée de notre pays et qui lui permettront, non pas de cultiver la peur nationale de la mondialisation, mais de tirer pleinement parti d’une inéluctable mondialisation.
Je n’ignore rien des difficultés de l’heure. Et des problèmes que pose la forte réduction annoncée des dépenses publiques, ainsi que de la mise en œuvre du « pacte de responsabilité et de solidarité ».
Mais pour comprendre la nécessité d’un effort qui doit être justement partagé et d’indispensables réformes, il faut mettre cela en perspective avec tout ce que ce livre nous apprend ou nous rappelle, même si certaines affirmations ou propositions peuvent donner matière à discussion. Oui, quand la France s’éveillera

Jean-Pierre Sueur

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