J'en ai moi-même été surpris. Alors que tous les groupes politiques du Sénat, et la commission des lois unanime, avaient pris position pour la suppression de la possibilité pour un parlementaire d'employer un membre de sa famille comme collaborateur, mardi dernier, lors d'un vote à main levée, la majorité des sénateurs présents a voté contre cette disposition.

Les choses sont revenues dans l'ordre – si l'on peut dire – le lendemain puisque, mercredi dernier, l'interdiction des emplois familiaux a été adoptée par le Sénat à l'issue d'un scrutin public par 306 voix pour et 11 contre.

Que s'est-il passé ?

Il s'est passé ce que j'ai appelé un « lapsus législatif ».

La vérité, c'est qu'un certain nombre de sénateurs comme de députés employaient des membres de leur famille comme collaborateurs parlementaires, ce qui n'était nullement illégal – et ne l'est toujours pas tant que la nouvelle loi n'est pas définitivement adoptée. Et comme l'a rappelé Catherine Tasca, ce ne sont pas les emplois familiaux qui sont illégaux, mais les emplois fictifs. Et il est apparu à ceux qui n'ont pas levé leur doigt le mardi soir qu'on faisait, en quelque sorte, payer à tous les « emplois familiaux » le prix de quelques « emplois fictifs ».

De plus – et je l'ai dit publiquement en séance –, alors qu'il a été souvent dit, au plus haut niveau de l'État, qu'il ne fallait pas légiférer en fonction de l'actualité immédiate, mais avec le « recul » nécessaire, on faisait, en l'espèce, le contraire. Car il est clair que s'il n'y avait pas eu une « affaire » dite « Pénélope Fillon », personne ne parlerait aujourd'hui des emplois familiaux...

Ceci peut expliquer cela.

Pour ma part, j'ai eu une position constante à ce sujet. En tant que député, maire, ministre, président d'agglomération ou sénateur, je n'ai jamais recruté personne de ma famille. En effet, même si de tels recrutements n'auraient pas été illégaux, ils auraient toujours pu être interprétés, perçus et vécus comme relevant du favoritisme. Je suis donc pleinement d'accord avec l'inscription de leur interdiction dans la loi.

J'ajoute – et je l'ai aussi dit en séance – qu'il m'apparaissait quasiment vexatoire qu'on n'évoque dans la loi les collaborateurs parlementaires que par rapport à cette question des emplois familiaux. C'est pourquoi, avec d'autres, je me suis employé à ce que la loi expose d'abord leurs missions et leurs fonctions, et évoque la meilleure façon de prendre en compte leurs droits – qui doivent se rapprocher le plus possible de ceux liés au « licenciement économique » – en cas de licenciement du fait de la non réélection du parlementaire pour lequel ils travaillent.

Tout s'est donc passé comme prévu, et conformément aux engagements pris, lorsque par un scrutin public (procédure qui a pour effet d'enregistrer la position effective de chaque sénateur), l'interdiction des emplois familiaux a été votée au Sénat par le score – sans appel – de 306 voix contre 11.

Mais cet épisode doit faire réfléchir. Car ce n'est pas un cas isolé. J'ai souvent vu de telles variations au cours des débats parlementaires. Cela témoigne seulement du fait que nos assemblées – le Sénat comme l'Assemblée Nationale – sont vivantes, qu'elles sont le lieu de vrais débats, que ces débats ne sont ni artificiels ni bouclés d'avance, comme certains le laissent croire. Et il est bien qu'il en soit ainsi.

J'en tire une conclusion : il faut laisser aux assemblées parlementaires le temps de délibérer, de se faire une opinion, de bien peser le pour et le contre de chaque ligne de ce qui deviendra la loi qui s'appliquera – parfois pendant très longtemps – à tous les Français. Or tous les pouvoirs exécutifs sont très pressés, trop pressés.  Ils voudraient que la loi fût faite et votée à toute allure. Ils ont tort. Il faut sans doute moins de lois. Mais il faut que celles-ci soient discutées et élaborées avec soin. Cela suppose qu'on renonce à faire de la procédure dite « accélérée » la procédure de droit commun – comme c'est malheureusement le cas en ce mois de juillet –, mais que, sauf exception liée à une véritable urgence, on ait recours à la procédure « ordinaire » – avec deux lectures dans chaque assemblée – telle qu'elle est inscrite dans la Constitution.

 

Jean-Pierre Sueur