Pour moi, le recours aux ordonnances, certes prévu par la Constitution, doit demeurer exceptionnel.
Je n’ignore pas que les ordonnances donnent lieu à des projets de loi d’habilitation et de ratification. Mais elles dépossèdent le Parlement de ce qui est son rôle essentiel : préparer, écrire, phrase après phrase, mot après mot, la loi qui s’appliquera – souvent pour de longues années – à tous les français.
Brandir les ordonnances pour tenter de conjurer les mouvements sociaux m’est toujours apparu comme une erreur – comme si le fait de dessaisir le Parlement de ses missions devait constituer une menace !
Ou bien l’on pense que le Parlement doit faire son office et écrire le mieux possible la loi pour le bien commun, ou bien l’on pense que l’examen d’un projet de loi par le Parlement est un passage obligé, une contrainte en quelque sorte, qu’il faudrait raccourcir et alléger le plus possible : selon que l’on choisit le premier ou le second terme de cette alternative, on choisit, en fait, une forme de démocratie où le pouvoir exécutif est plus que prépondérant ou  ce qui pour moi est une vraie démocratie, fondée sur l’équilibre des pouvoirs et donnant aux représentants de la Nation que sont les parlementaires le rôle qui est le leur.
Je mets cette question du recours aux ordonnances en relation avec une autre, celle de la procédure dite accélérée.
L’examen normal des projets et propositions de loi, tel qu’il est prévu par la Constitution, se traduit par deux lectures de chaque texte devant chaque assemblée – l’Assemblée nationale et le Sénat – avant une commission mixte paritaire, dont le rôle est de trouver un accord entre députés et sénateurs, puis d’ultimes lectures dans chaque assemblée sur la base du texte issu de la commission mixte paritaire, lorsque celle-ci parvient à un accord. 
La Constitution prévoit également qu’il puisse y avoir une procédure accélérée par laquelle l’examen se réduit à une seule lecture dans chaque assemblée avant la commission mixte paritaire, lorsqu’il y a urgence et, qu’à titre exceptionnel, un texte doit pouvoir être promulgué dans des délais rapides.
Or, depuis juillet 2016, l’exception est devenue la règle !
En effet, depuis cette date TOUS les projets de loi, sans aucune exception, ont été présentés par l’exécutif selon la procédure accélérée…
Je puis témoigner que cela est loin d’être sans conséquence sur le travail parlementaire et sur la nature et le texte même de la loi !
Je l’ai encore constaté très récemment s’agissant de la loi sur l’orientation et l’accès aux universités et à l’enseignement supérieur. 
Ordonnances, procédure accélérée : l’effet est le même, les recours aux unes et aux autres vont dans le même sens. Il s’agit d’une façon ou d’une autre de contourner ou de dessaisir, au moins partiellement, le Parlement du rôle qui est le sien.
Je suis intimement convaincu que notre démocratie n’y gagne rien – tout au contraire !
Jean-Pierre Sueur