Je reviendrai plus longuement sur le projet de loi « asile et immigration » lorsqu’il sera soumis au Sénat.

Mais je veux d’ores et déjà faire part de plusieurs constats.

Ce qui me frappe d’abord, c’est que ce texte ne repose pas sur une analyse approfondie et prospective des défis de la migration dans le monde. Il y a toujours eu des migrations. Pour des raisons liées au droit d’asile, mais aussi pour des raisons économiques et climatiques, il y en aura davantage demain.

Le Conseil d’État a d’ailleurs noté qu’il a cherché en vain dans le projet « le reflet d’une stratégie publique fondée sur l’exacte mesure des défis à relever et sur des choix structurants orientant les services publics vers un exercice plus efficace de leur mission. »

Le Conseil d’État pointe même l’inutilité d’un nouveau projet de loi après tant d’autres, et surtout « après la loi du 7 mars 2016 qu’avait précédée la loi du 29 juillet 2015. » Il note que les rédacteurs du projet ne peuvent pas même « s’appuyer sur une seule année entière d’exécution » des mesures mises en œuvre dans ces lois. Et il ajoute : « S’emparer d’un sujet aussi complexe à d’aussi brefs intervalles rend la tâche des services chargés de leur exécution plus difficile et diminue sensiblement la lisibilité du dispositif. »

Comme l’a justement écrit Maryline Baumard dans un remarque article paru dans Le Monde du 16 avril dernier : « Bien que baptisé "Pour une immigration maîtrisée, un doit d’asile effectif et une intégration réussie", ce texte marie surtout dissuasion et répression, négligeant pour l’heure de volet intégration. »

Il est clair que ce texte ne facilitera pas les choses, ni pour les demandeurs d’asile, ni pour les « migrants économiques » – c’est-à-dire des êtres humains que la misère fait arriver en Europe et qui, pour l’essentiel, y restent, faute en particulier d’un « laisser passer » fourni par le pays d’origine.

Les chiffres, à cet égard, sont éloquents. Seuls 4 % des déboutés du droit d’asile sont effectivement renvoyés. Et seules 13,5 % des « obligations de quitter le territoire français » (OQTF) sont exécutées. Ces chiffres expliquent d’ailleurs le découragement de nombre de fonctionnaires chargés de ces questions, qui sont trop peu nombreux et ont le sentiment que leur travail n’est pas utile ni efficace.

Il est positif de raccourcir les délais pour l’examen des demandes d’asile. Mais cela doit être fait dans le respect des droits des demandeurs.

La question des « migrations économiques », liées à la misère, aux trafics des passeurs, appelle des réponses européennes. Elle appelle une coopération plus forte avec les pays d’origine. Elle appelle enfin beaucoup d’humanité. Un immigré est d’abord un être humain. Et compte tenu des chiffres cités ci-dessus – dont on peut penser qu’ils n’évolueront pas dans de grandes proportions, y compris si le projet de loi restait en l’état –, l’enjeu principal consiste à réussir l’intégration.

Qu’il me soit enfin permis de rappeler à l’auteur de la phrase désormais célèbre selon laquelle l’abstention d’un député serait un péché véniel et le vote contre serait, lui, un péché mortel, que notre Constitution dispose dans son article 27 que « tout mandat impératif est nul. »

Jean-Pierre Sueur