Tragicomédie en quatre actes

Le rideau se lève pour l’acte 1 alors que Jacques Douffiagues – paix à son âme ! – est à la fois ministre des transports et maire d’Orléans. Il est question, à ce moment-là, de définir le tracé du futur TGV qui reliera Paris à Poitiers et Bordeaux. Il y a deux hypothèses. L’une consiste à passer par Orléans. L’autre par Vendôme. Jacques Douffiagues veut peut-être donner le sentiment qu’il ne tire pas parti de sa responsabilité ministérielle à des fins municipales. Il argue qu’Orléans étant, de toute façon, d’ores et déjà à moins d’une heure de Paris par le train, il n’y aurait pas d’intérêt à ce que ce futur TGV y passe : cela ne nous ferait gagner que quelques minutes. Notre ministre prend donc position pour le tracé Paris - Tours via Vendôme. À l’époque, cette question ne remue pas les foules. C’est vrai : nous sommes proches de Paris. Il est même un train (qui a depuis été supprimé) qui rapatrie peu avant minuit les habitants de l’agglomération d’Orléans qui vont aux spectacles parisiens, faute d’en trouver suffisamment sur place. Nous sommes cependant quelques-uns à dénoncer ce choix. Pour une raison précise. Que nous soyons à une heure ou cinquante-cinq minutes de Paris, ce n’est – certes – pas l’essentiel. L’essentiel, c’est d’être sur le réseau TGV. Et donc, depuis Orléans, de pouvoir aller facilement à Tours, Poitiers, Bordeaux – et demain Toulouse – et, dans l’autre sens, d’être sur une ligne qui, sans passer forcément par Paris, nous relierait au réseau TGV national et européen. On peut voir ainsi aux gares de Bordeaux et de Tours des annonces pour des trains rapides allant à Bruxelles et à Londres… Si le trajet desservant le sud-ouest par Orléans avait été choisi, le temps de transport aurait été allongé de quelques minutes pour aller depuis Paris à Tours, Poitiers ou Bordeaux. Mais pour Orléans, cela aurait tout changé. Ce fut le premier train manqué.

 


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Le rideau se lève pour l’acte 2 alors que les représentants de l’État et les présidents des trois régions Centre (comme on l’appelait alors), Limousin et Midi-Pyrénées paraphent un document historique. Les signataires sont visiblement satisfaits alors qu’ils se livrent à cet exercice légèrement artificiel qui consiste à signer quatre parapheurs en regardant fixement les photographes, l’œil brillant. En ce jour donc, les trois Régions et l’État viennent de conclure un accord pour un futur train à grande vitesse reliant Paris à Orléans, Limoges et Toulouse, qu’on appellera le « POLT ». Une technologie novatrice, qui a fait ses preuves en Italie, le « pendulaire », est retenue. Des ingénieurs exposent que cette technologie permet de tirer parti de courbes et des contre-courbes pour atteindre la vitesse optimale, que c’est moins coûteux que le TGV classique, mais très efficace. L’accord signé est, contrairement à d’autres, solide, puisqu’il prévoit l’apport financier de chacun des signataires. Bref, tout va bien.
Et chacun de se réjouir de ce projet qui a beaucoup de sens pour l’aménagement du territoire. En effet, on l’a vu, une ligne TGV Paris – Bordeaux (qui sera ensuite prolongée vers Toulouse) est décidée. Une autre qui relie Paris à Lyon puis Marseille… ou Montpellier est en service depuis de longues années. La vraie question d’aménagement du territoire qui est posée est de savoir si la (grande) partie de la France située au sud de Paris sera essentiellement irriguée par ces deux grands axes, qui seront aussi des axes de développement, laissant de côté, ou en arrière – ou à quai ! – toutes les régions et tous les départements, sans compter les agglomérations, situés entre l’un et l’autre de ces deux axes. Le POLT est la réponse – ou du moins l’une des réponses – à cette forte question. Et donc, tout va bien.
Tout va bien jusqu’à ce que Gilles de Robien, ministre des transports du gouvernement Raffarin, ne déclare un beau jour devant les deux assemblées parlementaires, en commençant par le Sénat – triste privilège – que la technologie du pendulaire n’était finalement pas au point, pas adaptée, pas opportune… Il est aisé de comprendre, à l’écouter, que le pendulaire était en l’espèce un mince prétexte… que d’autres priorités étaient plus prioritaires… et que l’accord évoqué ci-dessous devenait très vite un chiffon de papier.
Le POLT était ainsi enterré malgré de multiples protestations. Résultat : Orléans restait à moins d’une heure de Paris, mais après avoir raté la liaison rapide avec Tours, Poitiers et Bordeaux, nous venions de rater la liaison rapide avec Limoges et Toulouse – pour ne citer que ces deux villes.
C’est très bien d’être à moins d’une heure de Paris… mais c’est beaucoup mieux pour Orléans et Les Aubrais d’être fidèles à leur histoire qui en a fait un grand nœud ferroviaire : regardez ces hectares de rails aux Aubrais aujourd’hui inutilisés. Nous aurions pu être au XXIe siècle le nœud ferroviaire où auraient convergé deux lignes à grande vitesse – et peut-être une troisième : mais n’anticipons pas.
Les spectateurs auront noté que la dernière phrase est écrite au conditionnel passé. Le conditionnel passé a deux inconvénients. Le premier est qu’il est un conditionnel. Le second est qu’il est un passé.
Et chacun le sait, il faut être positif.

 


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Acte 3. « Soyons positifs » dit justement un président de l’agglomération orléanaise que l’auteur de ces lignes a bien connu devant l’assemblée des élus représentant les dix-huit communes qui la composent alors.
Et puisque, dit-il, le TGV passe par Vendôme et que le POLT pendulaire a fait long feu, il reste une possibilité à exploiter : la liaison Orléans-Roissy.
Être relié rapidement aux aéroports internationaux serait en effet, pour notre capitale régionale, un atout considérable. Pensons aux acteurs économiques, aux investisseurs, mais aussi aux touristes qui mettent trois heures, voire davantage, pour aller de Roissy à Orléans ou d’Orléans à Roissy.
Or, sans avoir à construire un seul kilomètre de rail supplémentaire, il est possible de relier Orléans à Roissy par TGV en une heure et demie. Certes, le train ne roule à la « vitesse TGV » que sur une partie du parcours. Mais le gain de temps, de confort et de commodité est très appréciable.
De surcroît, l’intérêt n’est pas seulement de relier Orléans à Roissy. Il est aussi de relier Orléans à l’ensemble du réseau TGV français et européen… puisque depuis Roissy, on peut aller à Lille (ce qui met Lille à 2 h 30 d’Orléans sans passer par Paris) et donc à Londres ou Bruxelles, mais aussi à nombre d’autres villes reliées par TGV, comme Strasbourg. C’est donc une manière pour Orléans de se retrouver sur le réseau TGV.
Et puis, il y a d’autres perspectives : cette ligne passant par Juvisy, il serait possible d’imaginer une navette reliant facilement Juvisy à Orly et Orly à Juvisy. Sans compter les perspectives qu’ouvrirait l’interconnexion des TGV à Massy. Mais abrégeons.
Les élus de l’agglomération d’Orléans, bientôt suivis de ceux de Blois, adoptent le projet et un aller-retour TGV est ouvert chaque jour. Les horaires ne sont pas idéaux. Mais l’idée est de démarrer, de prouver le mouvement en marchant – ou plutôt en roulant – puis de négocier avec la SNCF d’autres horaires pour arriver à deux allers le matin et deux retours le soir…
Mais les élections surviennent. Et la nouvelle majorité trouve que cela n’a pas d’intérêt. Elle suspend la contribution financière. Et le train s’arrête… sans que les négociations nécessaires pour développer cette desserte n’aient été menées, ni même entamées.
Quelques années plus tard, les Régions Centre et Limousin reprennent l’initiative et le projet. Le train repart. Il part même de Brive-la-Gaillarde. Et il rend un réel service. Mais nous en sommes toujours au même dispositif : un aller le matin desservant Orléans, Roissy et Lille et un retour le soir.
Le coût financier repose uniquement sur les deux régions. Il faut les en remercier chaleureusement. Les autres collectivités ne se mobilisent pas. Résultat : aujourd’hui ce train ne fonctionne que quelques jours par semaine.
Ceux qui furent les promoteurs de ce projet – je puis en parler – espèrent vivement que toutes les collectivités compétentes s’y intéresseront à nouveau et qu’on pourra un jour négocier de nouvelles dessertes le matin et le soir – ce qui est la condition du succès et de l’efficacité de cette desserte.
C’est essentiel. C’est indispensable pour une capitale du XXIe siècle d’être reliée facilement aux aéroports et au réseau TGV. Orléans peut-elle être avec Ajaccio la seule capitale régionale de France qui ne serait pas reliée dans de bonnes conditions au réseau TGV ?


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Au quatrième acte, un nouvel acronyme fait son entée : après le POLT, le POCL.
Il est apparu en haut lieu que la ligne TGV Paris-Lyon allait être saturée… et qu’il serait donc opportun de la doubler par une nouvelle ligne à grande vitesse qui relierait Paris à Lyon via Orléans et Clermont-Ferrand : le POCL est né.
Cette ligne nouvelle présente de nombreux avantages pour Orléans, mais aussi pour Bourges, et nombre de villes et de départements. En effet, dès lors qu’elle desservira Orléans et Bourges, elle apparaît comme toute à fait complémentaire…au POLT qui réapparaît non pas, certes, dans sa forme originelle – celle du pendulaire –, mais selon une modalité bien améliorée par rapport à l’existant, François Bonneau, président de la Région Centre - Val de Loire ayant obtenu des crédits complémentaires dans le prochain contrat de plan État-Région pour la rénovation de cette ligne. Qu’il en soit remercié !
Il y a là de quoi donner du cœur à l’ouvrage aux adeptes de la théorique du « Y renversé ». Cet « Y renversé », c’était, ce sera, c’eût été – c’est selon – un tronc commun jusqu’à Orléans et Bourges puis un tronçon LGV (le POCL) nous menant à Lyon et un autre (le POLT) nous menant à Toulouse. Orléans redevenait, redeviendra, fût redevenu – c’est selon – un vrai « nœud ferroviaire ».
Las ! Le POCL était à peine conçu que Réseau ferré de France (RFF), récemment rebaptisé SNCF-Réseau, considérait que la future ligne devait ignorer Orléans au bénéfice (si l’on peut dire) d’un tracé appelé « médian » qui a l’inconvénient de ne desservir ni Orléans ni aucune autre ville de notre région.
Les brillants concepteurs de ce nouveau tracé aplatissent donc le POLT en un imprononçable PCL…
Pour d’improbables raisons, ils envisagent de faire passer le futur TGV entre Orléans et Gien. Seules les vaches pourraient regarder passer le train. Et encore n’y a-t-il plus beaucoup de vaches dans ce secteur.
À titre de consolation, on envisage même de relier un improbable arrêt de cette ligne situé entre nulle part et nulle part à Orléans par un nouveau « barreau ». On renoue ainsi avec la théorie des deux gares : Orléans et Les Aubrais, Tours et Saint-Pierre-des-Corps, Amiens et Longueau, etc., (à ceci près que ce « bandeau » aurait 20 à 30 kilomètres de long)… dans l’irréalisme le plus complet. Quand on voit les difficultés qu’il y a pour relier Orléans et Chartres ou rouvrir la ligne Orléans - Châteauneuf-sur-Loire, comment croire un instant à ce barreau vers une gare située en pleine nature ?
Il est temps de conclure. Il faut défendre le POCL. Il faut défendre la desserte d’Orléans. Tous les élus doivent se mobiliser, mais aussi les citoyens et les associations.
Il ne faut pas qu’Orléans rate, une fois encore, le train.
Sinon, il n’y aura pas de cinquième acte. Et le rideau tombera lourdement, une fois encore, sur les illusions perdues.


Jean-Pierre Sueur

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