Je tiens à saluer l’ouvrage consacré à la prison – qui est une vraie « somme » – que vient de publier Jean-Marie Delarue qui fut, de 2008 à 2014, le premier et l’infatigable « contrôleur général des lieux de privation de liberté ».

Créé par une loi du 30 novembre 2007, ce « contrôleur » a pour mission de procéder à toute enquête et investigation au sein des prisons et autres lieux de privation de liberté. Les détenus peuvent le saisir ou lui écrire directement sans que leurs correspondances soient filtrées. Il dispose d’une totale liberté et indépendance dans l’exercice de ses prérogatives.

C’est dire que Jean-Marie Delarue s’est investi pleinement dans cette mission. Il se déplaça constamment sur le « terrain », avec des équipes d’enquêteurs qu’il savait animer et coordonner. Il ne laissa rien dans l’ombre. Aucun sujet n’était tabou. Et ses rapports annuels – qu’il venait présenter au Sénat avec une totale lucidité – constituent une description au scalpel de notre système pénitentiaire. J’ajoute que sa successeure, Adeline Hazan, poursuit la tâche et la publication de rapports dans le même esprit.

Travailler sur la prison, en parler, l’analyser, proposer de la réforme : tout cela n’est pas facile. Jean-Marie Delarue cite Robert Badinter qui déclarait : « Chaque fois que je me suis efforcé de faire progresser la condition carcérale, j’ai rencontré un climat d’hostilité et d’incompréhension. »

Il cite aussi l’importante loi du 24 novembre 2009 qui dispose pourtant, en son article 22, que « l’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L’exercice de ceux-ci ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention. »

Il cite encore Michel Foucault dont l’œuvre monumentale – et discutable sur certains points – qui, s’agissant de la prison, a « fait disparaître le discrédit attaché en particulier dans la recherche universitaire à une institution jugée insignifiante par sa dépendance au système pénal, par "l’immobilité" de son fonctionnement et par la population pauvre et de surcroît infractionniste qui l’occupe. »

Et la « somme » de Jean-Marie Delarue, nourrie de ses rapports, est en effet une description rigoureuse de la prison, de ceux qui y séjournent et de ceux qui y travaillent, même si l’auteur pratique aussi, en référence à Malinowski, « l’observation participante. »

L’ouvrage se déploie en trois grandes parties : la prison du Code pénal et du Code de procédure pénale ; la prison de la personne détenue ; la prison de l’administration pénitentiaire.

Il n’élude aucune réalité ni aucune question : depuis la surpopulation, dont les effets sont délétères, jusqu’aux courtes peines de détention, peu justifiées, mais aussi les questions de l’architecture des prisons – les plus récentes n’étant pas exemptes de défauts, tant s’en faut ! –, les aménagements de peine, la préparation de la « sortie », les conditions de travail des personnels pénitentiaires, etc.

Il s’achève sur une question essentielle : la prison est-elle « dépôt » ou « point de départ » ? Il plaide, bien sûr, pour qu’elle soit point de départ. On dit souvent que la fonction de la prison est de « protéger la société. » Elle doit aussi permettre au détenu de se « refaire », de se « réinsérer » – oui, de « repartir. » D’où l’importance du travail, de la socialisation, de tout ce qui prépare la sortie. Rien n’est pire que ce que l’on appelle les « sorties sèches. » Je pense souvent à cette autre phrase Robert Badinter : « La première cause de la récidive, c’est la condition pénitentiaire. »

Je n’imagine pas qu’on puisse lire d’une traite les 877 pages de la somme de Jean-Marie Delarue, bien que l’écriture en soit très claire. Mais ce sera, à coup sûr, un livre de référence, auquel il sera salutaire, pour tous ceux qui réfléchissent à ces difficiles questions à l’écart de toute démagogie, de se référer fréquemment.

Jean-Pierre Sueur