Éditorial du numéro 33 de la Lettre de Jean-Pierre Sueur
 
S’il y a un an, on nous avait dit que le mot le plus employé dans la vie politique et sociale, en cette année 2020, aurait été « masque », nous ne l’aurions pas cru, ou cela nous aurait plongé dans la stupéfaction.
Qui pouvait imaginer, en effet, la survenue d’un tel événement, d’ampleur mondiale, encore qu’il n’avait pas manqué de précédents dans l’histoire de l’humanité, dont nous avions toutefois le sentiment, d’ailleurs fallacieux, qu’ils étaient d’ampleur plus limitée. Il est vrai que nous n'étions pas encore à l’heure de la « mondialisation ». Et puis, nous l’avions oublié, ou nous ne voulions pas y penser. Et nous étions loin d’imaginer que cet événement aurait plus de conséquences que les plus lourdes crises économiques, qu’il balaierait toutes les prévisions, nous obligerait à repenser, à changer tant de choses.
Nous n’imaginions pas, nous n’imaginons d’ailleurs toujours pas, l’ampleur et la dureté de ses conséquences, dans de nombreux domaines, pour l’emploi, comme pour l’économie, car à l’inverse de ce que proclament quelques bonimenteurs, il faudra rembourser les dettes, et cela même si la mutualisation décidée, non sans douleur et dans des proportions limitées, par l’Europe est une bonne chose.
Alors que j’écris ces lignes, au mois d’août, j’ignore ce que sera la situation quand vous les lirez en septembre.
Ces faits nous appellent à une certaine modestie. Même si la volonté et les projets restent indispensables – sans cela, la politique perdrait son sens –, ces évènements nous enseignent que, loin de toute vision prométhéenne, la politique c’est aussi, et souvent d’abord, gérer le plus efficacement et le justement possible « ce qui arrive ».
Ils nous enseignent aussi la lucidité. Ce n’est pas un hasard si La Peste d’Albert Camus a connu un record de ventes. J’y reviens dans ces pages. Le héros de ce livre nous rappelle qu’un jour viendrait où pour « l’enseignement et le malheur des hommes », la peste reviendrait au cœur d’une « cité heureuse » et qu’il était de ceux qui « ne pouvant être des saints et refusant d’admettre les fléaux, s’efforcent cependant d’être des médecins. » La littérature est si précieuse. Je ne peux concevoir la politique sans littérature...
...Pour la première fois, la parution de cette Lettre a dû être retardée. Même si elle est plus longue que d’habitude, j’ai dû me résoudre à de nombreuses « coupes ». J’espère qu’elle contribuera toutefois à l’impératif que je me suis fixé de « rendre compte » de ce que je dis et fais en vertu du mandat qui m’a été confié et de toujours contribuer à un dialogue utile entre nous.
Croyez en mes sentiments bien dévoués.
Jean-Pierre Sueur