« Qu’est-ce que bien gouverner aujourd’hui ? » : cette vaste question est le titre d’un ouvrage publié aux éditions JFD, au Québec, et qui réunit nombre de contributions d’experts de tous les continents, parmi lesquels Gilles Kounowski, ancien directeur des relations internationales de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) et représentant des institutions sociales françaises au sein de l’Association internationale de Sécurité sociale (AISS), auteur d’un texte d’une grande lucidité intitulé « Comment la modernisation de l’action publique a affaibli les services publics en France ? Quelle solution pour les rétablir ? »
Gilles Kounowski fait un constat très réaliste, nourri de nombreuses analyses et d’une riche expérience : il montre qu’un certain nombre de « modernisations » dans les services publics, dont on a cru qu’elles étaient rationnelles, logiques, inéluctables, reposaient trop souvent sur des conceptions technocratiques, éloignées du réel et se sont, dans les faits, traduites par des régressions, contrairement aux effets attendus et à un certain nombre d’idées reçues. Il prend à ce sujet l’exemple de notre système de santé et des réformes mises en œuvre au sein des hôpitaux.
Il commence par saluer les « maints sacrifices consentis par les personnels hospitaliers particulièrement » pour faire face à la pandémie, nonobstant les dysfonctionnements issus des initiatives qu’il dénonce.
Puis il affirme qu’« il y aurait sans doute beaucoup à dire » sur « l’organisation générale de la médecine en France et l’illusion de son libéralisme, entièrement dépendant de la dépense sociale (la grande majorité des médecins libérauxsont en fait des quasi salariés de la sécurité sociale) » (…)sur « le déséquilibre entre la médecine de ville et la couverture hospitalière », tout comme sur « le rapport curieux entre médecins généralistes et médecins spécialistes, désormais les plus nombreux sur notre territoire. » Enfin, ajoute-il, « tout étant très médicaliséen France, la culture de la prévention y est parent pauvre. »
S’agissant de l’hôpital, Gilles Kounowksi pointe les « coûts administratifs budgétaires » trop élevés par rapport aux dépenses médicales : « Selon les chiffres de l’OCDE, 35 % des emplois hospitaliers en France ne sont pas médicaux ou paramédicaux, contre 24 % en Allemagne », alors que les dépenses de santé sont identiques dans les deux pays. Il ajoute que les hôpitaux français « se sont vu imposer au cours des dernières décennies des charges budgétaires croissantes liées à la mise en œuvre de méthodes, outils et démarches de gestion sur un mode quasi dogmatique » – et qu’« on a consacré plus de temps à gérer des problématiques statutaires ou logistiques qu’à développer des compétences créatrices de valeur ajoutée. » Ainsi en est-il de la « T2A » qui représente « un mode de financement des hôpitaux manifestement inadapté et contreperformant. » Les outils introduits ces dernières années ont justifié « la lourdeur et la surcharge induites par des procédures de contrôle et d’audit. »
L’analyse est décapante !
En venant aux remèdes, Gilles Kounowski affirme qu’« on pourrait sans préjudice pour les activités médicales ou administratives réaffecter plus de de 10 % des budgets hospitaliers aux soins. » Il ajoute que « dans ce but, une revue critique des méthodes, démarches et outils évoqués devrait être engagée pour supprimer tous ceux qui n’ont de sens que pour eux-mêmes […] et allouer des ressources aujourd’hui affectées à des emplois à faible valeur ajoutée […] à des fonctions ayant une utilité sociale et économique plus forte. » Et il voudrait qu’on mobilise à cette fin « l’extraordinaire intelligence de la haute administration française. »
Élargissant le propos à l’ensemble des services publics, Gilles Kounowski appelle ainsi de ses vœux un véritable « changement de paradigme culturel. »
Puisse-t-il être entendu !
Jean-Pierre Sueur
  • Qu’est-ce que bien gouverner aujourd’hui ?, ouvrage collectif, JFD Éditions.