C’est un livre étonnant et passionnant que celui que Frédéric Salat-Baroux vient de consacrer, aux éditions de l’Observatoire, à Léon Blum. Étonnant parce que, contrairement à ce que l’on pourrait s’attendre à la lecture de son titre, ce livre nous parle d’un Léon Blum peu connu, pour ne pas dire inconnu, celui de la jeunesse et de la première partie d’une vie où rien, ou peu de choses, pouvaient sembler le prédisposer aux rôles de leader du Parti socialiste, puis de président du Conseil lors du Front populaire. Le livre s’interrompt, en effet, en 1920 quand, avec son célèbre discours du Congrès de Tours, Léon Blum entre dans l’histoire.
Comme Frédéric Salat-Baroux l’écrit d’emblée, Léon Blum est une énigme. Il n’est pas de ceux qui sont convaincus dès l’enfance d’un destin qu’ils réaliseront. Et justement tout l’intérêt du livre est de montrer comment cet homme que rien ne paraissait prédestiner au rôle historique qui deviendra le sien s’engage au fil du temps dans le mouvement socialiste.
Élève brillant, Léon Blum entre à l’École normale supérieure. Mais, vrai dilettante, il en est renvoyé ! Il rejoint ensuite le Conseil d’État, où il prend toute sa place. Mais il s’adonne parallèlement à la critique littéraire. Ami de Gide et de Proust, il est fou de littérature. Il devient ensuite un critique théâtral particulièrement prolixe. Il noircit des pages et des pages.
La politique l'intéresse, mais la littérature, le théâtre, la philosophie occupent bien davantage son esprit.
Et puis survient l'affaire Dreyfus. Et, nous dit Frédéric Salat-Baroux, « l'affaire Dreyfus est pour lui la ligne de partage des eaux, son détonateur. » On suit de page en page le feuilleton de l'affaire, retrouvant Péguy, Jaurès, Zola. Et l'on suit aussi l'engagement de Blum qui décide de suivre Jaurès –qui venait de perdre les élections – dans le camp dreyfusard bien sûr, mais bien au-delà, puisque c'est une éthique, une conception de la justice qui est en jeu.
Le chapitre suivant s'intitule « Pas de Blum sans Jaurès ». Blum sera en effet très proche de Jaurès, il partagera ses combats, mais aussi son humanisme et l'idée que le socialisme est inséparable de la République et indissociable de la démocratie, jusqu’à l'assassinat de Jaurès. Et peu à peu « le disciple se fit chef » – pour reprendre le titre du chapitre qui suit. Bien qu'il n'appartienne pas à la direction du Parti socialiste, Léon Blum s'y impose.
Il s'y impose, mais devient minoritaire après la création de la Troisième internationale et l'adhésion de la majorité du parti aux thèses défendues par Lénine et à une organisation centralisée« où tout est décidé depuis le haut », à laquelle il ne peut souscrire.
Le livre s'interrompt donc au Congrès de Tours où, très fatigué, d'une voix faible, il défend en une argumentation serrée, limpide, prémonitoire, ce qui sera la substance et l'honneur du socialisme démocratique.
J'ajoute que le livre présente aussi les attaques d'une violence inouïe dont Léon Blum fut l'objet parce qu'il était juif. En février 1936, il fut agressé au sortir de sa voiture, par une foule hurlant :« À mort Blum ! » Trois mois plus tard, il présidait le gouvernement du Front populaire. Un an auparavant, le 9 avril 1935, Charles Maurras écrivait dans L'Action française : « Ce juif allemand naturalisé n'est pas à traiter comme une personne naturelle (…) C'est un homme à fusiller, mais dans le dos. » Face à ces flots de haine, Léon Blum a toujours gardé une forte sérénité. Frédéric Salat-Baroux rapporte qu'il disait : « Je tâche de composer chaque journée comme si elle était la dernière. »
Jean-Pierre Sueur
  • Blum le magnifique, aux éditions de l’Observatoire, 250 pages, 20 €