À l’heure où la Tunisie connaît des soubresauts politiques qui ouvrent sur un avenir incertain, et même si l’espoir demeure, à l’heure où elle est confrontée à une terrible épreuve sanitaire (1), il est éclairant de lire le livre d’un Tunisien né près de Sousse et devenu un chercheur de haut niveau, Abdellaziz Ben-Jebria, qui vient de paraître aux éditions Edilivre.

C’est l’histoire d’une ascension sociale et intellectuelle, de l’école primaire d’un petit village de Tunisie aux universités françaises – une ascension menée à la force du poignet, de petits boulots en petits boulots, pour assurer le financement nécessaire – puis à un doctorat d’État, à un statut de chercheur de haut niveau au sein de l’INSERM. Et puis Abdellaziz Ben-Jebria a été, comme tant d’autres étudiants français ou non ayant atteint ce haut niveau, happé par les États-Unis, où il mène un brillant parcours universitaire et scientifique. Qui dira combien notre pays aura payé ces « appels d’air » incessants de nos meilleurs scientifiques, faute que la France puisse simplement leur proposer des emplois au sein des universités et organismes de recherche rémunérés au niveau qui est le leur ?

Ce parcours est toute une histoire qui appelle à la réflexion. Il s’achève (provisoirement) lorsqu’Abdellaziz Ben-Jebria rentre en Tunisie en 2010. Il vit la révolution, ce « printemps arabe » dont il nous parle avec une extrême lucidité. Il nous explique qu’alors que des foules joyeuses s’enthousiasmaient pour l’avenir qui s’ouvrait avec le départ de Ben Ali « et de sa bande », on assistait « au réveil de politiciens opportunistes de tout bord pour […] voler à ces jeunes gens naïfs leur propre victoire ; ces politiciens arrivistes ont vite clamé leur pseudo contribution au renversement du régime Ben Ali et se sont enfoncés à cœur joie dans la prolifération de centaines de partis politiques. […] Pire, on assistait aussi au retour victorieux des tenants de la vérité divine pour réclamer leur part de gâteau. »

Et il ajoute : « On semblait oublier que la Tunisie est à la fois africaine et méditerranéenne par sa situation géographique […], qu’elle avait préservé la mémoire intacte pour demeurer ouvertement pluriculturelle par l’imprégnation de ses anciennes civilisations punique, carthaginoise, romaine, byzantine et j’en passe bien d’autres […] tout en préservant ses coutumes musulmanes et ses traditions populaires. »

Il dénonce la nouvelle constitution qu’il juge « incohérente, opaque et imprécise » et l’action d’une « arrogante et irresponsable troïka » qui « s’est précipitée à doubler artificiellement les salariés de la fonction publique. » Il explique combien cela a pesé sur la situation économique.

Et il n’a pas de mots assez durs contre la corruption.

On voit bien qu’il attend, qu’il espère autre chose. Puisse l’avenir lui donner raison. Puisse le « printemps arabe », né en Tunisie, et qui s’y est poursuivi, alors qu’il sombrait partout ailleurs, vivre, et vivre longtemps par le chemin retrouvé de réformes fortes respectueuses d’une nation et d’un peuple qui furent toujours ouverts au monde et à la modernité tout en gardant leur identité profonde !

Jean-Pierre Sueur

  • Aux éditions Edilivre, 520 pages, 29,50 €.
(1) Le groupe France-Tunisie du Sénat a alerté dès le début de la crise sanitaire qu’a connue la Tunisie le président de la République, le Premier ministre ainsi que le ministre des Solidarités et de la Santé, sur la nécessité d’une aide immédiate, forte et pérenne de la France à la Tunisie. La présidence de la République et le Premier ministre nous ont adressé en réponse les lettres qu’on lira ci-dessous.