Depuis 2012, dans le sillage de Robert Badinter et Mireille Delmas-Marty, je me bats, avec un grand nombre d’associations – et notamment la Fédération internationale des droits de l’Homme – pour que les magistrats français soient dotés de la « compétence universelle » qui leur permet de juger les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocides, même s’ils ont été commis à l’étranger, en vertu du statut de Rome qui a créé la Cour pénale internationale et qui a prévu que les magistrats des pays signataires seraient pourvus de cette prérogative.
Cela suppose de lever plusieurs verrous inscrits dans notre droit, ce qui a déjà été fait pour l’un d’entre eux. Mais trois subsistent dont celui en vertu duquel une personne ne peut être jugée que si elle a sa « résidence habituelle » en France (et non si elle « s’y trouve ») et celui appelé « double incrimination » en vertu duquel l’incrimination doit être identique en France et dans le pays dont l’auteur présumé est ressortissant.
C’est en vertu de ce principe que la Cour de cassation a considéré qu’il était, en droit, impossible de condamner un ressortissant syrien coupable de crime de guerre en Syrie – le droit syrien étant, en effet, bien différent du droit français !
J’ai obtenu lors du débat sur la loi de programmation de la justice de 2019 que le crime de génocide puisse être réprimé en l’absence de cette condition de double incrimination.
Mais cette condition reste nécessaire pour réprimer les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. C’est pourquoi, me fondant sur la récente décision de Cour de cassation, j’ai à nouveau posé la question à Éric Dupond-Moretti en séance publique le 18 janvier dernier.
Celui-ci étant absent, Annick Girardin a répondu en son nom par la négative. Le texte de la réponse (qu’elle n’a pas eu le temps de lire entièrement !) contient les phrases suivantes : « Les conséquences de cette décision sur les procédures ouvertes des chefs de crimes contre l’humanité et crimes de guerre sont en cours d’évaluation, intégrant la question de l’équilibre visant à assurer la nécessaire répression d’infractions particulièrement graves tout en permettant de concilier la sauvegarde des intérêts nationaux et les grands principes du droit international. »
Cette réponse est bien différente de celle qu’a faite le ministre fédéral allemand de la Justice, Marco Buschmann, qui est reproduite dans un article de Luc Mathieu sur le sujet paru dans Libération du 12 janvier : « Les crimes contre l’humanité ne doivent pas rester impunis. Peu importe où ils ont été commis et par qui. »
On le voit, en France, sur ce verrou de la « double incrimination », le combat continue.
Jean-Pierre Sueur
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