Cette mission du Sénat, à laquelle je participe avec François-Noël Buffet et Philippe Bas, était prévue de longue date. Sans préjuger du rapport que nous publierons, je vous livre quelques impressions.
 
Nous avons quitté Paris à un moment où notre vie politique et institutionnelle est quelque peu complexe ! J’ai déjà écrit qu’il était illusoire de penser que ne se produirait jamais une situation dans laquelle le président de la République élu ne pourrait pas s’appuyer sur une majorité absolue. C’est la norme dans la plupart des pays d’Europe. Et je ne vois pas d’issue dans les compromissions ni dans les rafistolages. Je préfère que chaque formation politique soit elle-même, vote selon ses convictions, et que le seul souci de l’intérêt général puisse entraîner des convergences sur des sujets concrets. Cela conduira – du moins je veux le croire – à privilégier l’essentiel par rapport à l’accessoire.
 
Et justement, arrivé  ici, en Nouvelle-Calédonie, à 20 000 kilomètres de Paris, où furent exilés les bagnards et les communards qu’on voulut éloigner le plus loin qu’il fût possible du sol de France, de l’autre côté du monde, bannis pour l’éternité, comment ne puis-je pas penser à mon ami Michel Rocard, et à tous ceux qui avec lui, alors qu’ils ne disposaient pas  de majorité à l’Assemblée Nationale, ont su faire voter des réformes fortes, et ouvrir le chemin de la paix, aboutissant à la poignée de main entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, ce qui apparaissait impossible et inouï après tant de violence, tant de haines et d’incompréhension. Preuve que rien n’est impossible ni écrit d’avance en aucun contexte, même si je sais que le contexte d’alors n’est pas celui d’aujourd’hui.
Aussi fut-il hautement symbolique que notre premier acte au premier jour de notre visite fut de nous rendre à Ouvéa pour déposer des fleurs sur les monuments dédiés aux dix-neuf kanaks et aux gendarmes victimes des événements de 1988. Il y avait la mer, très bleue, un léger vent dans les arbres et la présence, inaltérable, du souvenir.
Ce dimanche matin, nous sommes à Nouméa où nous participons à l’inauguration de la Place de la Paix, trente-quatre ans après la poignée de mains historique, désormais représentée par une forte sculpture, au cœur de la place, nous pensons à ces événements tragiques et au long chemin des accords de Matignon et de Nouméa. C’est une vraie fête et les discours de Marie-Claude Tjibaou et d’Isabelle Lafleur résonnent comme d’irrépressibles appels à une paix durable… Et pourtant, nous le savons, et les nombreuses auditions auxquelles nous procédons nous en convainquent, après trois référendums, la situation est toujours complexe. Même si beaucoup a été fait en trente ans, les mêmes défis sont devant nous, les mêmes débats entre « indépendantistes » et « loyalistes », dont les responsables se connaissent parfaitement. Droit à l’autodétermination, indépendance, souveraineté, coopération, association : ces mots et d’autres tournent, viennent et reviennent de réunion en réunion. Il n’y a pas de consensus. Il faut cependant encore et toujours trouver un chemin. Ce n’est pas simple. Toutes les ressources du droit et tous les efforts de rapprochement et de compréhension peuvent et doivent être mobilisés…Rien n’est acquis, rien n’est perdu, tout reste possible.
La mer est là, de tous les côtés, toujours recommencée.
 
Jean-Pierre Sueur