1. La crainte s'était manifestée que la nouvelle configuration de l'Assemblée Nationale pourrait empêcher le vote des projets de loi. Deux exemples récents - le projet de loi sur la sécurité sanitaire et celui sur le pouvoir d'achat - montrent que tel n'est pas, ou tel ne sera pas, le cas. Le premier de ces deux textes a donné lieu à un accord en commission mixte paritaire qui présage d'une adoption dans les deux assemblées et le second a été adopté par l'Assemblée Nationale. Je l'ai déjà écrit : il était inéluctable qu'un jour arriverait où le président de la République n'aurait pas une majorité absolue mais une majorité relative. Cet état des choses, courant dans les autres pays d'Europe, a pour effet de renforcer le rôle du Parlement. Il ne doit pas empêcher de gouverner, dès lors que le dialogue est instauré, et que des compromis sont recherchés.
2. Mais c'est là que les choses peuvent devenir problématiques. Car toute la question est de savoir à quel prix les compromis sont conclus. Et, à cet égard, nous avons vécu une bien fâcheuse expérience lors du débat du projet de loi de sécurité sanitaire. En effet nous avons eu, au Sénat, le sentiment - et plus que le sentiment - que le rapporteur LR faisait tout pour que le texte soit susceptible d'être voté par le groupe LR de l'Assemblée Nationale. C'est ainsi que :
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la date pour une "clause de revoyure" a été repoussée du 31 janvier 2023 au 30 juin 2023, au mépris des prérogatives du Parlement et alors que la première date avait été adoptée par l'Assemblée Nationale ;
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plus grave : il a été considéré que la possibilité de contrôler aux frontières face à l'épidémie ne pouvait reposer que sur les tests, à l'exclusion des vaccins - alors que nous sommes nombreux à avoir proclamé l'ardente nécessité de la vaccination ;
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enfin, un amendement, d'ailleurs sans effet concret et immédiat, a été adopté, au sujet des soignants non vaccinés, alors que le dépôt d'un tel amendement apparaît contraire à l'article 45 de la Constitution, comme l'a dit le président de la commission des lois de l'Assemblée Nationale lors de la commission mixte paritaire.
Certes, avec ces amendements, le texte passera. Ils n'en sont pas moins pour moi inacceptables. C'est une interrogation pour le présent et pour l'avenir.
3. Pour avoir siégé longuement à l'Assemblée Nationale et au Sénat et avoir connu toutes sortes de situations, je puis dire que j'aime le débat parlementaire, même s'il est vif, passionné, animé. Les débats vifs, passionnés et animés sont d'ailleurs beaucoup plus intéressants que ceux qui sont ternes et convenus ! Mais l'essentiel, pour moi, c'est l'échange d'arguments, c'est la force des convictions, c'est la confrontation des idées et des projets. Et je ne confondrai jamais cela avec l'obstruction permanente, les interruptions continues, les injures et le mépris de l'autre. De telles attitudes peuvent se révéler, à terme, très préjudiciables et conforter - qui sait ? - ceux qui dans l'ombre cherchent à donner à des idées qui ne le méritent aucunement une respectabilité délétère.
Jean-Pierre Sueur