Jean-Pierre Sueur est intervenu en séance publique au Sénat les 6, 7, 8 , 9, 10 et 11 mars, dans la suite et la fin du débat sur le projet de réforme des retraites :
  • À propos d’un amendement sur les impôts
  • Faut-il faire payer les robots ?
  • La réforme paramétrique est contraire à une conception plus individualisée prenant mieux en compte la pénibilité
  • Plutôt qu’une date couperet, prendre en compte le nombre d’années de cotisation
  • Rappel au règlement pour la prise en compte des sous-amendements
  • Sur la politique familiale
  • Sur le vote bloqué
  • Sur la fonction parlementaire

La vidéo à propos de la réforme paramétrique

 

Compte-rendu intégral des débats (version provisoire)
 
Lundi 6 mars
À propos d’un amendement sur les impôts
M. Jean-Pierre Sueur. Il se trouve que j’ai quitté cet hémicycle pendant quelques heures, hier, pour me rendre dans mon département du Loiret où j’ai rencontré beaucoup de nos concitoyens. Je pense que nous sommes nombreux à pouvoir dire cela : j’ai été frappé par la crainte que nourrissent les gens devant la situation de blocage dans laquelle nous nous trouvons. Il y a une véritable angoisse et une incompréhension.
Beaucoup de personnes disent : « Mais enfin, le Président de la République va-t-il toujours faire diversion sans jamais parler de la situation dans laquelle se trouve le pays ni de celle dans laquelle il se trouvera demain et après-demain ? Ce n’est pas possible ! »
Je vous entends dire, madame Gruny, que l’impôt est « injuste ». Mais enfin, l’impôt, c’est la base de l’esprit républicain, quand il est juste ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.) L’impôt, ce n’est pas injuste. Il faut que chacun finance à la mesure de sa capacité contributive le bien commun. C’est tout de même essentiel.
À cet égard, j’écoute toutes les propositions qui sont faites. J’ai écouté Mme Briquet et Mme Lubin, j’ai écouté M. Féraud plus récemment : j’ai écouté tous nos collègues. Les groupes de la gauche ont formulé des dizaines de propositions. La réponse est toujours : « Non ! », parce qu’il y a un dogme selon lequel il ne faut pas toucher à ce qui existe et tout impôt est mauvais, même s’il porte sur des causes justes.
Or je voudrais que vous compreniez qu’il y a justice à faire appel à ceux qui spéculent et qui gagnent beaucoup. Les compagnies de navigation, les sociétés d’autoroutes ou bien les compagnies pétrolières gagnent des dizaines de milliards d’euros et il serait injuste de leur demander quelque chose ?
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Sueur. Cela n’est pas possible et je voulais vous dire ce sentiment d’injustice par rapport à un tel discours, y compris quand il porte sur les impôts. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
 
Faut-il faire payer les robots ?
M. Jean-Pierre Sueur. Je veux féliciter nos amis écologistes pour la rédaction de l’objet de cet amendement.
La première phrase est excellente : « La richesse produite par les robots est une chance […] ». Il est hors de question, me semble-t-il, de donner le sentiment qu’on serait contre la modernisation, contre tout ce que la modernité apporte pour rendre le travail plus facile, pour améliorer les conditions de travail et accroître la productivité de la République française.
Je reprends la lecture : « La richesse produite par les robots est une chance et doit être mise au service de l’ensemble de la population. » Il est bien question de la « richesse ». Je suis d’accord avec les propos tenus à l’instant par Marie-Noëlle Lienemann. La mécanisation, la modernisation, la robotisation, c’est ne n’est pas un mal ; c’est un bien. Mais le profit des entreprises qui provient en partie de cette évolution et du travail des êtres humains doit servir à la solidarité, notamment pour ce qui concerne la question des retraites.
 
Mardi 7 mars
La réforme paramétrique est contraire à une conception plus individualisée prenant mieux en compte la pénibilité
M. Jean-Pierre Sueur. Laurent Berger avait prévenu, il y a déjà de très nombreux mois : non à une réforme paramétrique. La même toise, la même norme, le même chiffre pour tout le monde, ce n’est pas acceptable, quand on connaît la diversité des situations.
Cela a été dit encore et encore : il y a tellement de métiers difficiles et pénibles dans beaucoup de domaines, dans la construction, par exemple, mais aussi dans le secteur social.
J’ai eu l’occasion de rencontrer les aides à domicile, qui doivent parfois se rendre dans cinq foyers différents dans la journée, en supportant les temps de transport, auxquels s’ajoute le soin aux personnes. Il s’agit là d’êtres humains qui sont très fatigués et qui ne sauraient exercer ce métier jusqu’à 64 ans.
Il était possible de prendre en compte la diversité des situations et de négocier autre chose, mais vous avez absolument voulu tout unifier à 64 ans. Vous avez ainsi suscité la colère dont nous avons encore été témoins aujourd’hui.
Les organisations syndicales demandent à être reçues par le Président de la République. C’est la moindre des choses. Je forme le vœu qu’elles obtiennent une réponse et que cesse ce climat de diversion tout à fait incompréhensible, qui pourrait encore augmenter la colère et le désarroi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe GEST.)
 
Plutôt qu’une date couperet, rendre en compte le nombre d’années de cotisations
M. Jean-Pierre Sueur. Dans le droit de fil de l’intervention de M. Stanzione, je constate que, à cause de cette réforme, les personnes qui atteindront la durée requise pour le taux plein avant l’âge d’ouverture des droits devront travailler au-delà du nombre de trimestres nécessaires sans pouvoir bénéficier de la surcote. Si l’âge réel de l’âge de départ à la retraite, du fait de l’augmentation de la durée de cotisation, excède déjà parfois, selon les situations, l’âge légal de 62 ans, cela sera bien moins le cas avec le recul de l’âge d’ouverture des droits à 64 ans.
À l’inverse, les personnes ayant commencé à travailler plus tardivement et ayant suivi de longues études bénéficieront davantage de la surcote, puisqu’elles atteindront la durée requise pour le taux plein après l’âge légal.
Depuis plus de vingt ans, notre système de retraite tend à substituer le critère de l’âge à celui de la durée d’assurance requise comme clé de voûte du système. Pourtant, la durée d’assurance requise permet d’individualiser les droits selon les parcours professionnels et de mieux cibler – et plus facilement – les mécanismes de solidarité applicables, notamment par l’octroi de trimestres. Au contraire, le critère de l’âge d’ouverture des droits exige de créer des dispositifs dérogatoires dont le calibrage n’est jamais satisfaisant.
En un mot, pourquoi choisir la rigidité préjudiciable d’une norme unique plutôt qu’un système plus souple, qui nous permettrait de mieux nous adapter à la diversité des situations existantes ? (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
 
Mardi 8 mars
Rappel au règlement pour la pris en compte des sous amendements
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Pierre Sueur. Mon rappel au règlement se fonde sur l'article 44 bis, alinéa 4 : les sous-amendements ne sont recevables qu'à la condition de n'avoir « pas pour effet de contredire le sens des amendements auxquels ils se rapportent ». (Voilà ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Or, parmi les sous-amendements qui ont été déposés, il en est un grand nombre qui ne contredisent pas l'amendement auquel ils se rapportent. Il est parfaitement légitime de déposer des sous-amendements tendant à limiter l'effet de l'amendement, à en réduire la portée, à en restreindre les conséquences ou à en compléter les dispositions. Tout cela est légitime, puisqu'il n'y a là nulle « contradiction » !
Monsieur le président, j'ai donc l'honneur de vous demander qu'il soit procédé à un examen de l'ensemble des sous-amendements,…
M. Fabien Gay. Il a raison.
M. Jean-Pierre Sueur. … afin que l'on puisse déterminer, sous-amendement par sous-amendement, s'il y a bien contradiction – car la commission a été, en trois quarts d'heure, dans l'impossibilité de le faire –, de telle manière que tous les sous-amendements qui ne sont pas contraires à l'amendement viennent en débat en séance publique. À défaut, c'est à un véritable déni du droit fondamental d'amendement et de sous-amendement qui est le nôtre que nous assisterions. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
 
Jeudi 9 mars
Sur la politique familiale
M. Jean-Pierre Sueur. Je remercie M. Retailleau de sa contribution à l'histoire du Front populaire… (Rires sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Cependant, cette contribution est quelque peu orientée. Il est tout à fait contraire à la réalité de considérer que les ministres, femmes et hommes, qui ont participé au gouvernement du Front populaire auraient été contre une politique de la famille. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Il a dit le contraire !
M. Jean-Pierre Sueur. Au contraire, ils ont fait beaucoup à cet égard.
M. Max Brisson. Vous êtes d'accord !
M. Bruno Retailleau. Le décret-loi de 1938 !
M. Max Brisson. C'était Daladier !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous nous inscrivons dans le droit fil de cette politique du Front populaire et nous ne pouvons accepter vos insinuations sur nos prétendues contradictions avec ce moment de notre histoire politique. C'est une imposture que nous ne pouvons accepter ! (Mme Émilienne Poumirol applaudit. – Nouvelles exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
 
Vendredi 10 mars (compte-rendu analytique)
Sur le vote bloqué
M. Jean-Pierre Sueur. - Le décret fixant la majoration du Mico doit être pris après avis du COR. Pourquoi ? Car chien échaudé craint l'eau froide ! Nous avons vu tant d'imprécisions !
Je croisais encore aujourd'hui des personnes persuadées qu'elles allaient toucher les 1 200 euros... Il y a une sorte de mépris dans vos imprécisions constantes.
Je suis frappé par la différence d'atmosphère entre hier et aujourd'hui. Il s'est passé quelque chose ce matin... Depuis, plus de réponse, plus de contradiction, plus de vote.
Mme Sophie Primas. - Mais vous êtes tellement convaincant, mon cher collègue !
M. Jean-Pierre Sueur.- Tout ce qui faisait le charme et la force du Sénat a été annihilé !
 
Samedi 11 mars
Sur la fonction parlementaire
M. Jean-Pierre Sueur. Je n'ai vraiment pas l'habitude de lire des papiers, préférant m'adresser à mes collègues, en les regardant, sans m'embarrasser de documents. (Sourires.)
Toutefois, je tiens à faire aujourd'hui une exception (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.), car j'ai l'honneur, en solidarité avec tous mes amis des groupes de gauche, de vous dire que vous avez décidé de dévitaliser et d'anesthésier la fonction parlementaire, monsieur le président, par l'addition de toutes les procédures que vous offrent la Constitution et le règlement du Sénat.
Vous espériez sans doute que nous laisserions la retraite des Français entre les mains des droites coalisées.
Mme Sophie Primas. Là, ce sont les gauches coalisées !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous ne sommes pas dupes, les Français non plus. Nous ne lâcherons rien ; nous ne les lâcherons pas.
J'en viens maintenant à ce sous-amendement (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.).
Marie-Noëlle Lienemann a très bien défendu son sous-amendement. Je la connais depuis quelque temps, et je sais combien elle est vive et active, dans un souci constant d'efficacité. Pourtant, ma chère collègue, j'ai estimé un peu long d'attendre trois ans ce rapport. (Sourires.)
Pour respecter votre état d'esprit, votre volonté d'agir, votre efficacité et votre tempérament, nous proposons que ce rapport soit remis au bout d'un an, ce qui nous paraît raisonnable.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je suis trop réformiste ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
M. Jean-Pierre Sueur. Certes, un délai de trois ans paraît plus « sénatorial », au sens traditionnel du mot. Pour notre part, monsieur le président, une conception résolument moderne du Sénat de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)