Pour avoir été le rapporteur au Sénat de la loi organique du 6 décembre 2013 visant à appliquer l’article 11 de la Constitution sur le référendum d’initiative partagée (RIP) introduit par la réforme constitutionnelle de 2008, et avoir mesuré la complexité de la procédure instaurée, je rejoindrai volontiers ceux qui considèrent que cet article 11 a été conçu… pour ne s’appliquer jamais. Et, de fait, il ne s’est pas appliqué une seule fois depuis dix ans. Le projet de référendum sur la non privatisation d’Aéroports de Paris n’a recueilli que près d’un quart des signatures requises. Et quant aux deux propositions de RIP sur les retraites, elles n’ont pas franchi le stade du Conseil constitutionnel, celui-ci considérant qu’elles n’étaient pas des réformes à la date de leur dépôt, au sens de l’article 11.
Et de fait, la procédure de l’article 11 est un vrai parcours du combattant. Il faut d’abord une initiative de 10 % des parlementaires validée par le Conseil constitutionnel, et puis la signature de 10 % du corps électoral, soit 4 800 000 personnes. Et puis, ceci étant fait, il ne faut pas que les deux chambres du Parlement se saisissent du sujet dans les six mois qui suivront, auquel cas, en dépit des soutiens recueillis, le président de la République ne pourra pas procéder au référendum. Or, il faut rappeler que chaque groupe de l’Assemblée et du Sénat dispose d’un temps réservé et donc de la possibilité d’inscrire tout texte à l’ordre du jour, y compris celui qui a donné lieu au RIP, pour tenter de s’opposer au référendum…
Il faut, à l’évidence, revoir ce dispositif. Je proposerai quelques pistes et quelques questions, sans prétendre présenter une rédaction aboutie. Car je pense que ce sujet mérite une vraie réflexion et un ample débat.
  • Il y a d’abord la question du référendum d’initiativepartagée qui est posée. Certains souhaiteraient que la signature d’un nombre défini de citoyens suffise pour mettre en œuvre la procédure référendaire. Le risque est alors d’aboutir à un conflit entre deux légitimités, celle des citoyens signataires d’une part, et celle des parlementaires – qui représentent les citoyens, d’autre part.
  • Si l’idée de partage me paraît pertinente, il faut à l’évidence faciliter les choses et sans doute réduire le nombre de signatures requises, 4 800 000… paraissant un nombre très important.
  • L’objet sur lequel pourra porter le référendum est un autre sujet : si les matières prévues à l’article 11 peuvent paraître restrictives, il pourrait être problématique de l’étendre à toutes les matières relevant de la loi, prévues à l’article 34 de la Constitution. Là encore, il peut y avoir conflit de légitimité.
  • Dans le cas d’un partage, la réflexion pourra aussi porter sur les modalités d’intervention du Parlement au début de la procédure, comme c’est le cas aujourd’hui, mais aussi à la fin, au risque de donner au Parlement in fine un droit de veto sur l’initiative citoyenne, ce qui pourrait être incompris.
Ce ne sont là que quelques questions. Je conclurai en disant que j’exclus, pour ma part, ce qui fonctionne en Suisse – chaque pays a ses coutumes ! – et qui reviendrait à une gouvernance par voie prioritaire de référendum.
Pour utile qu’il puisse être, le référendum ne permet que des choix binaires.
Or je suis très attaché à la démocratie représentative et parlementaire dans laquelle il revient aux représentants du peuple d’écrire et de voter la loi, ce qui est un vrai travail, chaque phrase, et même chaque mot de la loi pouvant et devant donner lieu à un choix, un vote. Cela appelle de vrais débats, de vraies délibérations en commission et dans l’hémicycle – ce qui est une logique très différente du processus référendaire qui doit cependant rester une possibilité et garder son utilité, comme on l'a vu à plusieurs reprises dans l’histoire de la Cinquième République.
Jean-Pierre Sueur