Une réflexion critique sur l’intercommunalité

politique_confisqueeLe livre que Fabien Desage et David Guéranger viennent de publier La politique confisquée : sociologie des réformes et des institutions intercommunales (collection Savoir/Agir, communautés d’agglomération et de communes) auraient pour effet de dessaisir les citoyens de nombre de questions qui les concernent au premier chef. D’où le titre : « La politique confisquée ». Le plaidoyer – ou l’acte d’accusation ! -  est vigoureux, étayé par nombre de rappels historiques, d’études de situations et d’analyses concrètes.
Le fait qu’une thèse soit ainsi défendue et argumentée de la première à la dernière page de l’ouvrage rend sa lecture passionnante – beaucoup plus que celle de nombre d’analyses, moins engagées ! – et présente l’avantage de nourrir le débat.

Dans ce débat, absolument nécessaire aujourd’hui, je marquerai tout d’abord un désaccord avec l’analyse faite par les auteurs sur la loi de 1992 sur l’administration territoriale de la République. Cette loi que j’ai soutenue au nom du Gouvernement de l’époque durant 6 des 7 lectures qui ont eu lieu devant l’Assemblée Nationale et le Sénat (et qui fut, c’est vrai, adoptée d’extrême justesse tant en première qu’en seconde lecture) a, on le sait, créé les communautés de communes et les communautés de ville.

Fabien Desage et David Guéranger écrivent que son application fut un « échec ». Je pense le contraire… Les communautés de communes ont été, en réalité, un formidable succès. En dix ans, pas plus, la réforme s’est imposée et plus de 90% des communes étaient membres d’une communauté de communes. En 2013, le carte sera complète et toutes les communes appartiendront à une intercommunalité à fiscalité propre.
On nous promettait tout autre chose !
Pourquoi ce succès et celle « révolution tranquille de l’intercommunalité » menée en moins de dix ans ? Parce que nous avions fait le choix de respecter les communes – et donc les 36 700 communes de France. On peut critiquer ce choix. Mais l’attachement des Français à leur commune est tel - les tentatives de fusion ayant elles, échoué - que toucher aux communes aurait de toute façon rendu impossible le vote de la loi de 1992 – et il n’y aurait eu aucune communauté de communes ! De même, nous avons fait le choix de respecter la liberté des communes pour l’établissement des périmètres des futures intercommunalités. On peut, là encore, critiquer ce choix. Mais si nous ne l’avions pas fait, il n’y aurait pas eu de loi – et le mouvement de création puis de généralisation des communautés de communes aurait pris, en tout cas, beaucoup plus de temps.
On peut, certes, regretter que seules cinq communautés de ville se soient créées. La raison en est simple. Les élus n’étaient pas prêts dans leur grande majorité à accepter la taxe professionnelle unique. La réflexion a avancé. Les esprits ont évolué. Et cela est apparu possible en 1999, avec la loi Chevènement. Il fallut sept ans de travail, de dialogue, de concertation, pour que cette idée s’impose. Ce n’est pas si long au regard de l’histoire.
Je partage, en revanche, l’analyse de Fabien Desage et David Guéranger sur le fait que les citoyens se sentent nettement moins concernés par les débats qui ont lieu au sein de l’instance intercommunale que par ceux de leur conseil municipal qu’ils élisent au scrutin direct, en dépit du fait que les décisions prises par l’instance intercommunale ont aujourd’hui plus d’impact sur leur vie quotidienne que celles du conseil municipal.

Nos auteurs mettent très bien en lumière un remarquable paradoxe : alors que dans toutes les villes d’une certaine taille, les élections municipales sont politisées… les assemblées intercommunales issues (au scrutin au second degré) de ces mêmes élections municipales et qui rassemblent des élus politiques de couleurs différentes donnent lieu le plus souvent à d’impressionnants consensus.
Pourtant, les dossiers de l’agglomération ne sont pas moins « politiques » que ceux de la commune – tout au contraire.
D’où le sentiment d’une « confiscation » de la politique – et le titre de l’ouvrage.
Cette analyse renvoie évidemment à la question de l’élection au suffrage universel direct des conseils et des exécutifs des agglomérations. Une telle élection donnerait lieu, à échéances régulières, à un débat politique (au sens fort du terme) sur le projet, les projets et les perspectives d’agglomération.
Fabien Desage et David Guéranger semblent penser (p.216) que cette question du mode de scrutin « érigée en cause principale » est « facilement réformable ».
Je ne partage pas leur optimisme – pour avoir participé à trop de débats, au Parlement notamment – sur ce sujet.
Je crois que le système récemment adopté du « fléchage » des élus communautaires sur les listes présentées aux élections municipales est un faux semblant.
Je suis pour ma part partisan d’instaurer un tel mode de scrutin dans les grandes agglomérations urbaines (dans les communautés urbaines et communautés d’agglomération).

Mon expérience de terrain m’incite à considérer que les esprits ne sont pas prêts aujourd’hui pour une telle réforme dans les communautés de communes.
On pourra critiquer cette prudence… Mais depuis la loi de 1992, je préfère les réformes qui s’appliquent à celles dont on parle facilement mais qui ne voient pas le jour.
On le voit, le livre de Fabien Desage et David Guéranger a le double mérite de présenter une analyse solide de l’histoire de l’intercommunalité et de susciter des débats utiles et nécessaires pour demain.
Jean-Pierre Sueur

 

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