Il faut, en premier lieu, se féliciter de la forte participation des Tunisiens aux premières élections libres organisées dans le pays depuis toujours. 90% de participants ! Nous pourrions être envieux en France, terre – n’est-ce pas ! – de vieille démocratie. Nous n’oublierons pas ces files d’attente devant les urnes, ni la fierté de tous ceux qui montraient leur doigt trempé dans l’encre bleue.
En second lieu, il y a le résultat et le score (41,5%) du parti Ennahda qui suscite bien des interrogations. Nicolas Demorand a toutefois bien résumé les choses en écrivant, en substance, dans Libération : « Comme démocrates, nous pouvons nous inquiéter du résultat. Mais comme démocrates, nous nous devons de le respecter »
Avant de juger, il faut comprendre pourquoi Ennahda est arrivé largement en tête. J’y vois trois raisons :
1. Durant des décennies, les responsables et militants d’Ennahda ont été réprimés par le régime de Ben Ali. Ils ont dû s’exiler, ou ont été emprisonnés et torturés. Ils n’étaient pas les seuls à connaître ce sort. Mais ils faisaient incontestablement partie des opposants pourchassées, méprisés et honnis.
2. Dotée de moyens importants, Ennahda a été la force organisée la plus présente, la plus visible. En face d’elle, il y avait une myriade de partis : des dizaines et des dizaines de listes comptant des partis laïques et progressistes mais aussi d’anciens séides du RDC (le parti de Ben Ali) trop vite reconvertis pour avoir une quelconque crédibilité.
3. Ennahda est apparu proche des habitants. Tous les observateurs l’ont noté. Ce parti a mené une action caritative importante venant en aide aux pauvres. En bref, il a mené une campagne de terrain qui a été perçue par les citoyens.
Faut-il craindre Ennahda ? Les déclarations de ses dirigeants sont aujourd’hui apaisantes. Ils affirment qu’ils maintiendront le statut de la femme tunisienne – en vigueur depuis plus d’un demi-siècle et plus avancé que ce que l’on constate dans nombre d’Etats arabo-musulmans – et respecteront toutes les libertés publiques. Seuls les faits permettront de juger. Ne faisons pas de procès d’intention.
Pour connaître la Tunisie depuis longtemps, j’imagine mal des « retours en arrière » en ce pays si cultivé (la formation y est depuis le milieu du XXe siècle une absolue priorité) et depuis toujours ouvert aux vents du monde, qu’ils soient maritimes ou intellectuels. Peut-être suis-je trop optimiste : l’avenir le dira.
Les partis arrivés en deuxième et troisième position – respectivement le Congrès pour la République (CPR) et Ettakol, parti social-démocrate - doivent-ils participer à une coalition avec Ennahda ? C’est aux dirigeants de ces partis – et à nul autre – d’en décider.
Enfin, il ne faut pas insulter l’avenir. Une élection a eu lieu il y a une semaine. Elle va se traduire par la mise en place d’une assemblée constituante. Une autre élection aura lieu dans un an. D’ici là, tout est possible.
J’émets le vœu que les partis progressistes et laïques, qui, ensemble, regroupent une part non négligeable des suffrages, s’organisent et se rassemblent. Trop dispersés, ils n’ont pas pu peser suffisamment sur le récent scrutin. Rassemblés, ils seront plus visibles et lisibles. Leur union est une des clés de l’avenir.
Jean-Pierre Sueur
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