grecoLe dernier disque de Juliette Gréco (Ca se traverse et c’est beau…) est le plus poétique de ceux qu’elle nous a offerts durant ces dix dernières années. Il rassemble treize chansons – treize poèmes – consacrées aux ponts de Paris. Les chansons sont chantées et les poèmes dits en duo avec Marc Lavoine, Mélody Gardot, Féfé et quelques autres.
Une fois encore, Juliette Gréco fait appel à de vrais écrivains qui écrivent chacun les pages d’une œuvre qui finit par être la sienne. Le nombre de ses auteurs – elle a enregistré plus de 700 textes – est très élevé, ils sont très divers, jouent tous les registres, et pourtant Juliette Gréco donne à cette étonnante diversité une troublante unité. Cette transmutation est sa marque propre.

Au fil des ponts de Paris, on croise donc Marie Nimier :

« Ca nous bouleverse, ça nous renverse, mais moi j’y tiens
Le pont Marie, petite Marie, c’est pour aller
De l’une à l’autre, de l’autre à l’un, pas pour sombrer
Pour se trouver, pour se serrer, pour s’embrasser. »

On croise François Morel :

« Je reste seul et triste
Pourtant parlé par des millions
De Parisiens et de touristes
Je suis le petit pont. »

On croise Amélie Nothomb :

« Pourquoi diable aurait-on inventé la Seine
Si ce n’est pour qu’elle coule sous les ponts
Il manque un pont à Paris, le pont Juliette ».

On croise Philippe Sollers :

« Le pont Royal, le roi des ponts de Paris
Est traversé par des histoires
Plus étranges les unes que les autres. […]
Aujourd’hui, le pont est noyé sous les voitures pendant que la Seine
Impassible, et parfois débordante, suit son cours. Mais arrêtez-vous un instant, et tendez l’oreille : sur le pont Royal, en été, on entend un  très grand passé. »

On croise Jean-Claude Carrère :

« Sur le pont Mirabeau
Guillaume Apollinaire
Revenant de la guerre
A sa tête un bandeau ».

On croise Juliette Gréco elle-même qui – fait rarissime – a écrit une chanson :

« La misère s’endort comme elle le peut sous les ponts
Elle écoute l’eau emporter le temps
L’hiver finira bien par nous offrir le printemps et les filles dévêtues
Sur les quais, gourmandes de soleil.
Peut-être que tout n’est pas perdu. »

Merci, Juliette.

Jean-Pierre Sueur

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