J’ai choisi, entre ces deux tours de l’élection présidentielle, d’inviter à la réflexion sur quatre mots entendus ces derniers jours.

Vrai. D’abord, l’adjectif « vrai ». On le sait, Nicolas Sarkozy a appelé à célébrer, en ce 1er Mai, le « vrai travail »… Comme s’il y avait du vrai travail et du faux travail, de vrais travailleurs et de faux travailleurs. Et puis il a dit qu’il n’avait pas prononcé cet adjectif. Ce qui, en l’espèce, n’était pas vrai… Devant l’évidence, il a dit qu’« il avait voulu dire » « vraie fête du travail ». Ce qui n’est pas mieux puisque cela présuppose que, s’il y a une « vraie fête du travail », l’autre serait fausse… Ces circonlocutions appellent deux remarques. D’abord, Nicolas Sarkozy entretient un curieux rapport avec la vérité. On s’en était rendu compte lorsqu’il avait prétendu avoir assisté à la chute du Mur de Berlin ou être allé à Fukushima. C’est comme si, pour lui, le verbe tenait lieu de réalité, une parole en effaçant une autre, une vérité en effaçant une autre. D’où cette impression de tournis, de zigzag et de virevolte que nous ressentons  à chaque instant. Seconde remarque : il y a dans cette notion de « vrai travail » et de « vraie fête du travail » la poursuite évidente du dénigrement des syndicats censés – si l’on comprend bien – défendre les mauvais ou les faux travailleurs ! François Fillon s’est lui-même démarqué de ces propos. La démocratie sociale, tellement nécessaire, suppose le respect des partenaires sociaux. La Constitution précise que la France est une « République sociale ». Cette campagne antisyndicale venant d’un homme qui est – encore ! – président de la République abîme la République sociale.

Croissance. Au début, lorsque François Hollande parlait de « croissance », cela entraînait, dans certains milieux, scepticisme, indifférence ou incrédulité. Et puis les choses ont changé. D’abord parce qu’il apparaît, à l’évidence, que l’Europe ne peut se limiter à n’être qu’une Europe monétaire : l’Europe monétaire n’a de sens que si elle est aussi une Europe économique et sociale. Une Europe pour l’emploi. On attend de l’Europe qu’elle contribue à combattre la folie financière et spéculative qui s’est emparée du monde et à maîtriser le cours des choses. Si l’Europe doit veiller aux nécessaires équilibres, elle doit être tout autant  - et ce n’est pas incompatible ! – l’Europe de la croissance et de l’emploi. D’où le mémorandum en quatre points que François Hollande prévoit d’envoyer aux gouvernements européens dès le lendemain de son élection… Mais les choses bougent. Tout se passe comme si, dès avant l’élection présidentielle, le résultat attendu produisait déjà son effet. M. Draghi parle de croissance. La Commission parle de croissance. Mme Merkel elle-même parle désormais de croissance… En un mot, la croissance est à l’ordre du jour !

Présomption. J’ai beaucoup de respect pour les policiers et les gendarmes qui accomplissent un travail difficile. J’ai autant de respect pour les magistrats. Et je désapprouve ceux qui s’emploient à opposer les uns aux autres. Cela a malheureusement encore été le cas en cette période électorale. Et encore une fois, au lendemain d’un fait divers tragique, Nicolas Sarkozy a annoncé – et improvisé  – une nouvelle loi. Ce n’est pas ainsi que l’on doit faire la loi. Les lois de circonstance ne sont pas de bonnes lois. Surtout lorsque l’on s’emploie à faire croire qu’une nouvelle loi règlera les problèmes sans effectifs supplémentaires, sans un fonctionnaire en plus et avec, dans les faits, des fonctionnaires en moins ! Cet effet d’annonce en vertu duquel on créerait une « présomption de légitime défense » n’est qu’un effet d’annonce après tant d’autres. Les juristes disent que cela n’a aucun sens. La « légitime défense » a un sens. La « présomption d’innocence » a un sens. Elle vaut pour tous et en toute circonstance, même si on l’oublie trop souvent. Elle est la meilleure protection de tous au regard du droit.

Frontière. Nicolas Sarkozy a, paraît-il, utilisé plus de cinquante fois le mot « frontière » durant son discours de Toulouse. Nous voici donc revenus aux temps de la République douanière. On voit bien que ce mot vise à rassurer les nostalgiques d’une France fermée au monde, qui n’a d’ailleurs jamais existé. Une France fermée, renfermée sur elle-même, c’est une chimère, c’est une erreur. Ce serait une France qui se fermerait au monde, se rétrécirait, oublierait la place qu’elle tient dans le monde en raison de son histoire et des valeurs qu’elle porte en elle. Plutôt que de frontières, je préfère parler de nouvelles frontières. Les nouvelles frontières sont aux dimensions du monde. Nous devons aimer la France, et aussi l’Europe, n’oublier jamais que leur destins sont indissociables et que l’Europe comme la France doivent œuvrer pour un monde plus juste, des économies mieux maîtrisées, un environnement mieux respecté sur toute la planète. En un mot un monde plus humain. Nicolas Sarkozy réveille le vieux cartiérisme. Il flatte le repli hexagonal. C’est une impasse. Comme l’a dit, en substance, François Hollande, si l’on veut un monde meilleur, il faut savoir s’ouvrir au monde.

Jean-Pierre Sueur
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