Par Aïssa Touati et Régis Guyotat

C La-Temesguida 5902Régis Guyotat a longtemps été le correspondant du journal Le Monde dans la région Centre. Il a une belle plume, le sens du récit. Et il sait partager ces qualités avec d’autres, qu’il s’agisse de l’Afghanistan – avec Shah Bazgar – ou du Cambodge sur lequel il a réalisé une série d’émissions sur France Culture avec Loan Lam.
Il publie aujourd’hui avec Aïssa Touati, un Algérien émigré en France qu’il a connu en faisant des cours d’alphabétisation et qui est devenu l’un de ses amis, un livre très fort, dans la collection « Témoins », aux éditions Gallimard.
Ce livre raconte comment Aïssa Touati, né dans un village, a perçu, découvert, vécu et peu à peu compris ce qu’était la guerre d’Algérie depuis ce village où il gardait ses bêtes à l’ombre d’une montagne : la « Temesguida », qui donne son nom à l’ouvrage.
Aïssa est à peine sorti de l’enfance, il n’est pas allé à l’école. Il « n’a jamais vu un drapeau français ni le futur drapeau algérien » (p. 55). Il dit : « J’emploie aujourd’hui ce mot de "colon", mais à l’époque je ne le connaissais pas » (p.24). Et encore : « Contre qui pourrions-nous nous révolter ? Contre la pauvreté, nous qui ignorons ce qu’est la richesse ? » (p. 26).
On le comprend, Régis Guyotat a enregistré le récit d’Aïssa Touati. Mais il ne l’a pas seulement retranscrit. L’un et l’autre ont ensemble élaboré ce texte, qui restitue la vie concrète, les peurs, les inquiétudes.
C’est l’histoire vue par un enfant, puis par un adolescent.
La figure du grand frère, Ramdane, qui s’est engagé aux côtés des moudjahidines qui « apportent la révolution » est omniprésente.
Le récit se déroule au rythme de la vie dans le village d’Ouled Seddik jusqu’à ce qu’il soit incendié. « Non seulement nous avons perdu le toit sous lequel nous avons vécu, mais toute une communauté villageoise avec son âme, ses coutumes, ses traditions a été détruite » (p. 114).
Nous suivons Aïssa dans l’un des bidonvilles qui environnent Alger et où les gens des villages se sont réfugiés. Nous découvrons avec lui Alger. Mais surtout, nous suivons, peu à peu, la manière dont il comprend cette guerre.
Et c’est la richesse et la beauté de ce livre que de nous faire intimement, véridiquement, partager ce regard d’enfant et d’adolescent.
On me permettra de citer la dédicace que Régis Guyotat a bien voulu écrire à mon intention : « Enfin, un récit sans haine ! »
On ne saurait mieux dire.

Jean-Pierre Sueur

.