Commençons par un retour aux chiffres. Il y a 500 millions d’habitants en Europe. Si nous accueillons un million de réfugiés, leur maison, ne laissent pas là-bas l’essentiel de ce qu’ils ont, par gaîté de cœur. Ils ont le choix entre partir ou mourir, ou du moins risquer la mort. Et ils risquent encore la mort en confiant leur vie à des passeurs sans scrupule.
Rappelons encore que les pays de l’Europe sont signataires de la Convention de Genève qui les oblige à accueillir ces réfugiés qui sont victimes du terrorisme dans leur pays. C’est une obligation. C’est un devoir sacré que nos pays se sont librement engagés à mettre en œuvre.
Or, nous assistons à un terrible enchaînement. Les uns après les autres, les pays ferment leurs frontières, se protègent et se calfeutrent. Avec pour conséquence claire que la situation sera toujours plus ingérable en Grèce, au sud de l’Italie, ailleurs encore.
L’Europe avait créé un espace de libre circulation des personnes. Si cet espace instauré à Schengen se disloque, ce sera un terrible retour au passé.
Que manque-t-il ?
Il manque – on le découvre cruellement avec cette crise et ce drame – une vraie puissance publique européenne.
L’Europe est un marché – le marché commun -, elle est une puissance économique. Elle n’est pas encore, ou pas suffisamment – tant s’en faut – une puissance politique. Et nous payons aujourd’hui le fait de n’avoir pas construit une Europe politique.
Que faut-il faire ?
Il faut, bien sûr, mettre fin à ce qui cause le mal : Daesch. La France y prend sa part. Il faudra encore beaucoup d’efforts venant d’horizons différents.
Il faudrait parvenir à créer l’équivalent des « hot spots » dès les rivages d’où partent les migrants, et concrètement aider efficacement la Turquie – qui ne manque pas de contradictions ! – le Liban et la Jordanie qui accueillent déjà sur leurs sols davantage de réfugiés que l’Europe.
Il faut une vraie organisation – une puissance publique – pour que chaque pays apporte sa contribution à l’effort nécessaire. Il y a nombre de paradoxes : ainsi, la maire de Barcelone attend-elle vainement qu’arrivent les réfugiés qu’elle est prête à accueillir.
Il faut une lutte efficace contre les passeurs, ce qui suppose des moyens accrus, notamment pour FRONTEX.
Il faut une surveillance efficace des frontières extérieures de l’Europe. Il est clair qu’un important corps de garde-côtes (qui pourrait œuvrer aux frontières de la Grèce, pays qui fait déjà beaucoup avec ses faibles moyens) est indispensable. Chacun en convient à Bruxelles. Je lis cependant dans Le Monde daté du 27 février le constat suivant : « Les ministres de l’intérieur se sont félicités que les discussions sur cette proposition (la mise sur pied d’un corps de garde-frontières européens) aient très vite progressé, et espèrent un feu vert du Parlement européen avant l’été. Un record pour la machine à légiférer bruxelloise, mais une éternité face à l’urgence de la situation. »
Tout est dit.
Si l’Europe ne devient pas une puissance politique forte et cohérente pour régler ce lourd problème en plus des autres, s’il n’y a pas un vrai sursaut, ce drame des réfugiés risque d’entraîner, en effet, l’implosion de l’Europe, sans que cela règle pour autant le sort des réfugiés, bien au contraire.
Il faut enfin des paroles positives à l’égard de ceux qui ont tout perdu. Angela Merkel a été critiquée. Elle l’est toujours. Mais à ceux qui récusent ses propos et son action, il faut demander quelle alternative et quelles solutions ils proposent.
Car ceux qui demandent refuge sont là. Ils s’entassent sur les îles grecques.
On peut trouver des excuses, des parades, bâtir des murs, renvoyer le problème à d’autres, s’en protéger, s’en défaire.
Mais cela ne règle en rien un drame qui appelle, quoi qu’on dise, des solutions courageuses.

Jean-Pierre Sueur