Nous devons être reconnaissants à Abdelkader Damani, directeur du FRAC Centre-Val de Loire installé aux Turbulences sur le mail d’Orléans, pour avoir initié, conçu, préparé et « mis en scène » cette première Biennale d’architecture d’Orléans, qui a débuté il y a quelques jours.

Notre reconnaissance doit aussi aller à la Ville d’Orléans, au ministère de la Culture, à la Région Centre-Val de Loire et au Département du Loiret, qui ont soutenu cette entreprise qui renoue avec Archilab, manifestation internationale vouée à l’architecture contemporaine dont les premières éditions ont eu lieu à la fin des années 1990 avec le soutien actif de la municipalité que je conduisais alors et avec le concours très efficace de Marie-Ange Brayer – pour laquelle le FRAC et Archilab furent une vraie passion – ainsi que de Frédéric Migayrou.

Archilab s’appuyait sur le Fonds régional d’art contemporain (FRAC) de notre région qui, à l’opposé de bien d’autres FRAC que j’ai parfois présentés de manière trop polémique, comme des « agrégats inconstitués d’objets disparates », s’était donné une spécialité : rassembler les maquettes des œuvres architecturales novatrices construites ou imaginées dans le monde entier durant le XXe siècle.

La collection de maquettes du FRAC Centre-Val de Loire est donc unique au monde. Elle nous donnait une légitimité pour organiser l’événement orléanais qui, au cours des dernières années, a eu le plus d’écho au niveau international, je veux dire : Archilab – ce que la plupart des Orléanais ignorent !

Il s’agissait d’une rencontre entre plusieurs dizaines d’équipes d’architectes novateurs venus de nombreux pays auxquels nous proposions d’exposer leurs œuvres dans un ancien site militaire – Les Subsistances militaires – qui a désormais laissé place aux Turbulences, œuvre architecturale remarquables due à Dominique Jakob et Brendan MacFarlane.

Dois-je l’écrire ? J’ai beaucoup craint que, du fait des alternances politiques, Archilab ne disparaisse. Je le craignais d’autant plus que je savais que d’autres villes étaient sur les rangs pour s’approprier ce qui avait été conçu et vécu à Orléans – et qui était connu et reconnu dans les milieux de l’architecture, au plan mondial.

Heureusement, il n’en fut rien – et il n’en est rien.

On le voit aujourd’hui.

(suite de la lettre électronique)

Abdelkader Damani a eu une belle idée de donner pour titre à la biennale : « Marcher dans le rêve d’un autre ».

On ne saurait mieux définir l’architecture.

Il est bien que le choix des architectes appelés à construire des édifices publics donne lieu à des concours. Certains voulaient – ou voudraient – qu’au nom d’une idée fausse de la démocratie, ces choix donnent lieu à une procédure électorale – à un référendum en quelque sorte.

Ce serait nier que l’architecture est œuvre d’art. Et que, comme telle, elle ressortît d’une démarche singulière, qu’elle est, dans tous les sens du terme, une création.

L’architecte ne doit certes pas travailler en vase clos. Il doit comprendre les attentes et le contexte. Il doit savoir écouter, dialoguer.

Mais, à la fin des fins, il s’engage, lui, comme tout artiste, en proposant une œuvre qui est la sienne, même si un grand nombre d’êtres humains seront appelés à y vivre, à y travailler, à s’y mouvoir et même s’ils seront nombreux à se l’approprier – ou non. Car il y a toujours un risque. Le risque du neuf. Le risque de la subversion des formes anciennes, le risque de n’être pas compris – durant un premier temps du moins –, avant d’être copié, voire singé.

On a vu cela.

Alors l’architecte fait un rêve.

Et nous, nous qui habitons la cité, qui y travaillons, qui y passons, nous prenons place et nous marchons, nous déambulons et nous habitons dans « ce rêve d’un autre. »

Il y a harmonie, communion, symbiose – ou non. C’est une chance pour nos villes. Si elles se bornaient à recopier ce dont nous avons hérité, elles ne vivraient pas, ne seraient pas tournées vers le futur. Elles s’endormiraient.

 

Je l’ai dit lors de l’inauguration de la Biennale. J’ai éprouvé une grande reconnaissance à l’égard des Orléanais qui ont élu l’équipe municipale que je conduisais en 1989 – soit onze ans avant la fin du XXe siècle.

Je leur ai été reconnaissant de nous avoir élus, bien sûr.

Mais je les remercie pour une autre raison, à laquelle beaucoup ne pensaient sans doute pas.

Cette raison, c’est qu’ils nous ont permis d’enfin donner dans notre cité toute sa place à l’architecture du XXe siècle avant que ce XXe siècle ne s’achève.

La construction de la médiathèque (ci-dessus) fut, à cet égard, exemplaire.

J’avais repéré depuis longtemps ce site, qui était alors occupé par le commissariat de police, et qui avait la particularité de donner sur les mails et de les dominer.

Construire la médiathèque en cet endroit, ce fut un manifeste, un engagement pour une œuvre qui – je le déplore – en est toujours à ses débuts : la reconquête des mails.

Les mails sont l’avenue principale de notre jeune métropole.

Ils furent, historiquement, un lieu de convivialité, de rencontre, de passage, de continuité entre les faubourgs et le centre-ville.

Ils sont devenus une pseudo autoroute.

Je persiste et signe : la tâche urbanistique la plus urgente pour notre agglomération, c’est aujourd’hui la reconquête des mails.

J’imagine entre la médiathèque et le théâtre deux voies de circulation dans chaque sens et, au centre – on ne peut pas faire moins – et de chaque côté, de vastes espaces verts voués au cheminement, aux cyclistes, à la rencontre, au commerce, à l’art, à la convivialité, au passage…

J’imagine les faubourgs et les quartiers et villes dits périphériques retrouvant une totale continuité avec le centre-ville…

Installer la médiathèque en ce lieu, c’était donc un premier manifeste.

C’en était un second en termes architecturaux. La création de Dominique Lyon et Patrice du Besset inscrirait résolument l’architecture du XXe siècle dans notre ville.

J’ai souvent dit que si les matériaux de la médiathèque étaient contemporains, la facture d’ensemble était classique. Nulle anecdote, nulle facilité, nulle fioriture dans cet édifice de verre et d’aluminium – mais des lignes pures, fortes, courbes et droites, se mariant sobrement.

Cela a déconcerté, puis séduit. L’œuvre fut décriée avant qu’on ne se l’approprie. Elle figure dans nombre de livres d’architecture. Si elle n’était pas là, elle manquerait assurément.

Je n’étais pas architecte. Je n’étais ni l’un ni l’autre des deux architectes. Mais comme, avec Augustin Cornu, j’ai suivi la construction de jour en jour, j’ai éprouvé une forte émotion quand l’édifice commença à être habité.

Oui, ces hommes et ces femmes de toutes générations marchaient dans ce rêve qui était devenu le nôtre.

C’était d’autant plus important que j’avais vu s’élever de part et d’autre de la cathédrale des arcades qui allaient ouvrir sur le musée d’un côté et sur le Conseil régional de l’autre.

La construction des arcades de la rue Royale et du pont Royal fut une longue, belle et forte aventure, comme le savent tous ceux qui ont lu les livres consacrés à Aignan-Thomas Desfriches et à Jean Hupeau.

Mais qu’au vingtième siècle – ce siècle si fécond en créations artistiques et architecturales – on en fût réduit à recopier et à singer les œuvres du passé m’avait consterné.

L’architecture du XXe siècle devait continuer à prendre toute la place qui devait être la sienne avec le pont de l’Europe dû à Santiago Calatrava, dont nous décidâmes de choisir la version la plus ambitieuse, cependant que les critiques redoublaient de la part de ceux qui considèrent toujours que toute œuvre humaine est vouée à défigurer la nature.

Aujourd’hui, chacun voit que cette œuvre de haute culture se marie avec la nature.

Ce pont figure, lui aussi, dans d’innombrables livres et revues d’architecture, de par le monde.

Il y eut encore le tramway et son environnement conçu par Jean-Michel Wilmotte.

Il y eut les édifices très remarquables disposés le long de la ligne, conçus et commandés par Serge Lemoine – qu’il faudrait restaurer, présenter, éclairer et magnifier…

Il y eut le Zénith de Philippe Chaix et Jean-Paul Morel.

Il y eut le Centre de conférences d’Aymeric Zublana.

D’autres choses encore…

Et je garde pour la fin les salles Jean-Louis-Barrault et Antoine-Vitez au théâtre, œuvres très remarquables dues à François Deslaugiers.

Car, évoquant François Deslaugiers, je me souviens qu’il a aussi construit un édifice à La Source.

Et je me rends compte que j’ai été injuste. Car il est un quartier d’Orléans où l’archirecture du XXe siècle a pris sa vraie place, c’est celui de La Source et du campus universitaire.

Et je rêve d’une grande exposition et d’un ouvrage qui mettraient en valeur et en lumière toutes les œuvres architecturales remarquables qui y ont été construites.

Mais je reviens à la Biennale d’architecture.

Des dizaines d’architectes du monde entier y présentent leurs réflexions, leurs projets et leurs rêves.

C’est riche et c’est précieux. Cela donne à voir, à penser, à imaginer – aussi bien au FRAC (aux Turbulences) qu’à Saint-Pierre-le-Puellier, dans le très bel édifice ouvert à tous devant la médiathèque, aux Tanneries à Amilly… que dans d’autres lieux.

Oserais-je une critique ?

(C’est d’ailleurs une critique que j’avais présentée lors de certaines éditions d’Archilab).

Cette critique tient au fait que ce qui est présenté est souvent très conceptuel.

Qu’on m’entende bien. Je n’ai rien contre les concepts. Ce serait absurde !

Mais il manque parfois – me semble-t-il – des liens entre les concepts et ce qui est effectivement construit, bâti.

Or, il est nombre d’équipes d’architecture – et notamment celles qui sont invitées – qui bâtissent, construisent des édifices, des logements, des quartiers urbains profondément innovants, rompant avec les conformismes ambiants pour inventer de l’architecture toujours neuve…

On aimerait les voir davantage.

Heureusement, la réponse à cette critique figure dans l’exposition même avec tout ce que Patrick Bouchain, invité d’honneur, nous y offre.

Car lui aime le réel, magnifie le réel. Il transforme et transfigure des friches industrielles, repense la ville et l’urbain, s’intéresse à tout et conçoit de fabuleuses architectures pour les théâtres et les cirques…

On ne saurait trop l’en remercier !

Je souhaite longue et belle vie à la Biennale d’architecture d’Orléans.

Jean-Pierre Sueur

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