Le Premier ministre a rendu public un texte précisant les intentions du gouvernement sur la réforme constitutionnelle.
J’ai écrit, la semaine dernière, mon désaccord avec la réduction drastique (30 %) qui est projetée du nombre de parlementaires. On pourra relire mon texte à ce sujet. J’ajouterai simplement que plus j’y réfléchis, plus j’écoute les réactions sur le terrain, moins je comprends en quoi et pourquoi cette réduction serait utile, nécessaire et bénéfique.
Je veux aujourd’hui revenir sur un autre aspect des propositions du gouvernement, qui tient à la fois à l’équilibre des institutions et au travail parlementaire lui-même.
Chacun le sait. La Constitution de la Cinquième République, si elle a garanti la stabilité de nos institutions, souffre d’un déséquilibre : les pouvoirs de l’exécutif sont excessifs au regard de ceux du législatif. Aussi doit-on attendre de chaque révision de la Constitution qu’elle contribue à réduire ce déséquilibre. Et la vérité conduit à dire que ce fut le cas avec la révision de 2008 qui a, par exemple, innové en disposant que le débat en séance publique se ferait sur la base du texte adopté par la commission parlementaire et non sur la base du texte du gouvernement.
Or je crains fort que le projet du gouvernement n’aille en sens inverse.
J’y vois trois signes dans le texte du Premier ministre.
Celui-ci annonce qu’il a renoncé à l’idée incongrue, par lui avancée, de contingenter le nombre d’amendements susceptibles d’être déposés en fonction de la taille des groupes parlementaires – ce qui avait suscité une réprobation générale. Je dirai simplement : encore heureux !
Mais, si je comprends bien, en contrepartie de l’abandon de cette disposition absurde, il nous est demandé de « limiter les amendements sans portée normative, sans lien direct avec le texte ou qui ne seraient pas du domaine de la loi. »
Je crains qu’il y ait là une réelle dérive. J’ai pu mesurer récemment combien des amendements pouvaient être considérés comme étant « sans lien direct » avec un texte en vertu de décisions parfaitement arbitraires.
Je puis témoigner que j’ai œuvré durant de nombreuses années à l’Assemblée nationale et au Sénat sans que fussent une seule fois opposés l’article 41 ou l’article 45 de la Constitution sur lesquels on se fonde désormais pour écarter des amendements dit « irrecevables » – et je souhaiterais qu’on en revînt à la situation précédente. D’autant plus que l’article 40 qui nous interdit d’accroître les charges publiques est lui aussi appliqué avec une rigueur parfois surprenante !
Je le rappelle : le droit d’amendement est essentiel. Il est, pour les parlementaires, comme l’air que l’on respire.
Et je crains les restrictions qu’on nous annonce.
De la même manière, une autre phrase du propos d’Édouard Philippe me fait réagir.
Nous avons pu obtenir de haute lutte qu’il y ait chaque mois une semaine réservée à l’initiative parlementaire, c’est à dire à l’examen des propositions de lois présentées par les parlementaires. Cela a été inscrit dans la Constitution – ainsi qu’une semaine dite de contrôle, car le contrôle parlementaire ne s’exerce pas essentiellement par des débats sans vote dans les hémicycles, mais au moyens de questions, de commissions d’enquête parlementaire, de contrôle « sur pièce et sur place. »
Je préférerais, pour ma part, que deux tiers du temps fussent consacrés aux projets du gouvernement et un tiers aux propositions émanant du Parlement.
Quoi qu’il en soit, le Premier ministre annonce qu’il prévoit que le temps parlementaire, tel qu’il est aujourd’hui défini, puisse être occupé par les projets de textes du gouvernement « les plus importants ou urgents. »
Si tel était le cas, ce serait une vraie régression, un retour aux temps anciens où il n’y avait que très peu de place pour l’initiative parlementaire.
J’ajoute qu’une phrase sibylline nous indique que « Par ailleurs, la procédure sera accélérée après la commission mixte paritaire, même si la nouvelle lecture au Sénat sera maintenue. » Je dirai : « Encore heureux ! »… et je ferai observer que ce « même si » m’inquiète.
… Si l’on prend en compte ces quelques remarques, mais aussi les effets concrets qu’aurait la réduction drastique du nombre de parlementaires, et si l’on note de surcroît que la procédure dite accélérée est devenue depuis plusieurs mois la norme absolue pour l’examen des textes… on doit en conclure que rien de tout cela n’accroît les droits, prérogatives et pouvoirs du Parlement et des parlementaires.
Or je le redis : le but principal de toute réforme de la Constitution de la Cinquième République, aujourd’hui, doit être de réduire le déséquilibre des pouvoirs qui en est la principale caractéristique.
Jean-Pierre Sueur
>> Lire le discours sur la réforme des institutions prononcé par Édouard Philippe le 4 avril