Comment et pourquoi cacher l’émotion que j’ai éprouvée lors de la cérémonie digne, forte et belle qui a précédé l’entrée au Panthéon de Simone et Antoine Veil ?
Il y eut la musique infiniment juste, la chorale de jeunes enthousiaste – cela ne trompe pas –, « Nuit et brouillard », les paroles qu’il fallait dire et aussi, et surtout, le chant des oiseaux enregistré quelques jours auparavant à cinq heures du matin à Birkenau.
Simone Veil, dans les jours d’épreuve qu’elle vivait en déportation, regardait les arbres et écoutait les oiseaux. Elle se raccrochait aux battements de la vie.
Sa vie, elle fut extraordinaire.
Simone fut arrêtée le soir où s’achevaient les épreuves du baccalauréat. Déportée, elle dut de garder la vie au fait qu’elle déclara un âge qui n’était pas le sien. Il y avait deux files. Elle échappa ainsi à celle qui menait directement à la mort.
Une surveillante lui dit qu’il serait dommage qu’une jeune fille si belle meure dans le camp. Elle lui proposa d’aller dans les ateliers. Alors qu’elle n’était pas en situation de revendiquer quoi que ce soit, Simone exigea cependant que sa mère et sa sœur l’y accompagnent. Et elle l’obtint.
Longtemps, elle ne parla pas de la déportation, mais elle n’oublia rien.
Magistrate, elle défendit bec et ongles la situation des femmes détenues. On comprend pourquoi.
Un autre souvenir me revient. Je l’ai dit le plus sincèrement que je l’ai pu, ce dimanche soir, sur le plateau de France 3 Centre-Val de Loire.
Ce souvenir, c’est celui de la loi de 1974 instaurant l’interruption volontaire de grossesse qu’avaient voulue Valéry Giscard d’Estaing, président de la République, et Jacques Chirac, Premier ministre.
Il y a quelque chose qui, encore aujourd’hui, me fait honte et qui est à inscrire au tableau du déshonneur de la politique. C’est l’attitude de ces députés qui, dans un hémicycle presque totalement masculin, ont méprisé, vilipendé et même injurié cette femme qui était très droite, parlait sans peur, disait toute la force de sa conviction, parlait pour tellement de femmes, peut-être toutes les femmes.
Simone n’oubliera jamais que, sans les voix de la gauche, sa loi n’aurait pas été votée.
Je me souviens de ce rassemblement au cours duquel deux mille femmes maires l’applaudirent longuement.
Et puis il y eut le Club Vauban, fondé par Antoine, qui réunissait chaque mois une vingtaine de « politiques », une moitié de gauche (qu’il appelait les « partageux »), une moitié de droite (qu’il appelait les « parcimonieux »).
Simone, et Antoine à ses côtés, se défiaient de la politique politicienne. Ils voulaient rassembler sur la base de valeurs humanistes, sociales, et aussi, et surtout, sur un attachement indéfectible à la construction européenne.
Ayant été recruté par Antoine et Simone, j’ai ressenti comme une fierté de participer à « Vauban » durant quinze ans. Antoine avait un don remarquable pour créer des liens, des ponts, tout en se méfiant – Simone s’en méfiait encore plus – des consensus de façade et des synthèses factices.
Les tragédies de sa vie appelaient si fort l’idée de l’Europe qu’elle portait en elle que, pour nous, lui être fidèle, ce sera se battre de toutes nos forces pour que l’Europe ne s’abîme pas dans des nationalismes, des fermetures et des reniements qui seraient l’exact contraire de l’idée européenne.
Jean-Pierre Sueur
>> (Re)voir le 19-20 de France 3 Centre Val de Loire (à 16’25’’)