Après le Chantecler d’Edmond Rostand en 2016 et 2017, Élisa Chicaud nous a offert une nouvelle très remarquable mise en scène en montant la pièce de Jean-Claude Grumberg En r’venant d’l’expo, une pièce peu jouée, mais qu’il était judicieux de faire revivre – tant elle suscite d’écho, y compris dans notre présente actualité –, une pièce qui fut servie jusqu’à ce dimanche 2 septembre par vingt-cinq comédiens plus que motivés qui jouaient pleinement leurs nombreux rôles, en un lieu, l’immense ferme de Rivotte, où s’est installé depuis longtemps le Théâtre de l’Escabeau, un théâtre que j’aime, car il rassemble des hommes et des femmes amoureux du théâtre, fous de théâtre, qui vivent pour lui, même s’il leur arrive d’en vivre mal, mais cela est une autre histoire…
La pièce de Grumberg commence lors de l’exposition universelle de 1900 à Paris. Une riche exposition (pardonnez la redondance) nous la présente d’ailleurs en prélude ou en complément du spectacle. Et, de fil en aiguille, on se retrouve au cœur d’un café-concert, « Le bouchon de Clichy », dont les consommateurs représentent toutes les catégories sociales, des aristocrates et bourgeois puissamment conservateurs aux anarcho-syndicalistes, sans oublier un chanteur-serveur et d’autres chanteurs et musiciens qui nous font vivre par la chanson toutes les facettes de ce qu’il est convenu d’appeler « la Belle époque ». Et on se retrouve ainsi, alternativement, en contrepoint, dans un local où les syndicalistes de l’époque préparent, inlassablement, la « grève générale » en se défiant des hommes politiques, fussent-ils socialistes…
L’histoire est protéiforme. Mais elle s’articule surtout autour de Louis – remarquablement interprété par Chloé Bourgeois – qui exerce au départ les fonctions de « comique troupier » et, peu à peu, change de rôle jusqu’à partager les idéaux de ses camarades syndicalistes, dont il finit par épouser les rêves et les espoirs.
Et l’on retourne au Bouchon de Clichy, où l’on retrouve toute la société, et toutes ses contradictions, sous la houlette de Stéphane Godefroy qui, comme de coutume, ne s’économise pas…
Tout cela compose un spectacle à la fois gai et profond. À peine sortis de l’Exposition universelle, on découvre tous les antagonismes, tous les mouvements sociaux qui marquent l’époque jusqu’à l’assassinat de Jaurès. On retrouve toutes les positions sur la guerre, depuis ceux qui l’espèrent, ceux qui annoncent qu’elle sera courte, ceux qui proclament que ce sera la dernière et ceux qui pensent qu’elle n’aura pas lieu puisque les prolétaires des pays belligérants s’y opposeront en engageant une « grève générale universelle. » Quand on découvre qu’elle est inéluctable, Louis se contente de dire, ultime et dérisoire parade, et dernière réplique : « On tirera en l’air ! »
C’est du théâtre, au sens plein du terme, la réalité devenue drame. Vous pourrez, très heureusement, voir ou revoir ce spectacle en 2019. J’espère de tout cœur que d’ici là l’État, notamment, et plus précisément la Direction régionale à l’action culturelle (DRAC) aura versé au Théâtre de l’Escabeau la subvention qu’il mérite amplement.
Jean-Pierre Sueur