Cet article est paru dans "La Lettre de Réformer" L’histoire politique est aussi celle des mots de la politique. Aucun mot n’est neutre. Et lorsque l’usage d’un terme se développe dans le champ de la politique, cela a toujours un sens.
Ainsi en va-t-il aujourd’hui pour le mot « autonomie ». La principale revendication des mouvements de jeunes et d’étudiants porte sur le « droit à l’autonomie » et sur une « prestation autonomie ». Paradoxalement, ce terme est aussi revenu en force pour évoquer les derniers âges de la vie. Une loi récente a substitué à la « Prestation Spécifique Dépendance la nouvelle Aide Personnalisée à l’Autonomie, l’objectif étant de permettre à chacun de disposer jusqu’à la fin de sa vie de la plus large part d’« autonomie » possible. Le Parti Socialiste vient de proposer dans son texte sur l’éducation qu’on accroisse sensiblement l’ « autonomie » des établissements scolaires et des universités. Ce ne sont que quelques exemples. On pourrait en trouver d’autres.
Cette émergence du concept d’« autonomie » est-elle en contradiction avec les idéaux qui fondent les combats de la gauche ?
La gauche a, en effet, historiquement, privilégié des projets collectifs, communs, solidaires. Le terme même de socialisme renvoie à un projet pour l’ensemble du corps social ou de la société. Et tout cela pourrait apparaître aux antipodes de l’autonomie.
Mais ce serait se méprendre sur ce que ce terme recouvre – et sur ce qu’il peut et doit recouvrir – pour nous.
L’ « autonomie » n’est, en effet, ni l’égoïsme, ni l’individualisme, ni le « chacun pour soi », ni l’atomisation de la société.
Telle que nous la concevons, l’aspiration à l’autonomie consiste à parier sur les capacités d’initiative des individus, des groupes et de l’ensemble des acteurs sociaux. Elle est corollaire de la décentralisation, de la déconcentration, du principe de subsidiarité, de la responsabilité de l’ensemble des acteurs sociaux.
C’est évidemment contraire aux conceptions du changement social renvoyant exclusivement à l’Etat, à l’impulsion centrale, et conçu comme homogène, uniforme, partout identique.
Mais il faut préciser les choses.
Pour nécessaire qu’elle soit aujourd’hui, l’idée d’« autonomie » ne suffit pas à définir un projet. Car on peut en avoir des conceptions fort diverses. Nous avons eu ainsi l’occasion de préciser combien l’autonomie des établissements scolaires et des universités s’inscrit, pour nous, dans le cadre d’un service public garant des principes d’égalité et de laïcité qui fondent l’Education Nationale. Mais dès lors que cela est clair, nous pensons qu’il faut donner beaucoup plus de responsabilités aux « acteurs de terrain » pour organiser l’enseignement, mettre en œuvre les pédagogies les plus appropriées, concevoir des projets d’établissement. Tout dépend en définitive de l’idée qu’on se fait du service public. Dès lors que les règles qui doivent être fixées au plan national le sont, nous pensons que le bon du service public est celui qui s’appuie sur les capacités d’initiatives de ceux qui le servent.
Nous reviendrons dans une prochaine Lettre de Réformer sur le « droit à l’autonomie » et la « prestation autonomie » pour les jeunes, qui doivent permettrent aux étudiants, et plus largement à tous les jeunes, de « mieux vivre » leur parcours de formation et d’insertion professionnelle, de faire leurs choix dans de bonnes conditions, etc. Mais disons dès aujourd’hui que, pour nous, ce nouveau dispositif est indissociable de la solidarité. Il doit, en particulier, se traduire par une solidarité accrue, par rapport au système actuel des bourses.
Que ce soit en matière de formation, de retraite ou de politique sociale, il y a des conceptions de l’autonomie qui dans tous les domaines, dans ces logiques de « capitalisation individuelle » et de « marchandisation » de la formation, des soins, de la retraite ou de la protection sociale. Ces conceptions ne sont pas les nôtres.
En définitive, l’aspiration à l’autonomie des citoyens et des acteurs sociaux est un facteur de progrès dès lors qu’elle se traduit par une responsabilité accrue de ces acteurs, une forte capacité d’initiative, et qu’elle va de pair avec de vraies solidarités.
L’articulation entre autonomie, responsabilité et solidarité constitue donc l’un des principaux enjeux de notre futur projet.