A l'occasion de la nomination du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, Jean-Pierre Sueur s'interroge sur l'opportunité, les compétences et le champ d'action d'un ministère de la Ville Une fois encore, le gouvernement compte un ministère dit « de la ville ». Mais une fois de plus, quatre ministères, au moins, s’occupent de la ville. Le ministère de la culture gère la ville patrimoniale et les centres anciens. Le ministère de l’équipement gère le logement, les transports, et la « ville émergente ». Le ministère de l’intérieur s’occupe des collectivités locales, et, par conséquent, des villes. Et même si l’on a ajouté la « rénovation urbaine » dans son intitulé, ce qui ne trompe personne, le ministère dit « de la ville » est, en fait, le ministère d’une partie de la ville : c’est le ministère de la ville qui va mal.

On s’est habitué à ce qu’il en soit ainsi. Cette répartition des tâches n’est cependant pas anodine. Il n’y a pas deux ministères de l’agriculture, l’un pour l’agriculture qui va bien et l’autre pour l’agriculture qui va mal. Cela paraîtrait incongru. Pourquoi, alors, une telle bipartition apparaîtrait-elle naturelle dans le domaine de la ville ? La réponse est, pour moi, très claire. Elle tient à l’illusion, encore trop largement répandue, selon laquelle un ministère des quartiers en difficulté pourrait « traiter » les problèmes de ces quartiers sans que cela ait quelque conséquence que ce soit sur le reste de la ville et de l’espace urbain.

Cela fait plus de vingt ans qu’on vit sur cette illusion. On a cherché d’abord à « réparer » ces quartiers et à y améliorer les conditions d’habitat et de vie. C’était, et c’est toujours, nécessaire. Et puis, on s’est rendu à l’évidence. Ces quartiers, il ne suffit pas de les réparer ou des les amender. Dans beaucoup de cas, il faut, en grande partie, les refaire.

Le nouveau titulaire du ministère, Jean-Louis BORLOO, en est conscient. Il vient ainsi d’annoncer son intention de remplacer des barres par des pavillons. Mais cette formule est simpliste. On voit bien qu’il faut démolir nombre de barres et de tours. Mais, pour des raisons évidentes, la plus grande partie de leurs habitants ne pourront pas être accueillis dans les pavillons qui, par hypothèse, seraient construits à leur place.

La réalité c’est que si l’on veut, dans une agglomération, détruire les immeubles qui ne correspondent plus à l’attente de nos concitoyens, et d’abord de leurs habitants, il faut au préalable construire dans cette même agglomération des logements sociaux de qualité sur trente, quarante ou cinquante sites différents.

Il faut repenser la ville dans son ensemble, en recherchant la mixité sociale, la mixité de l’habitat, mais également la mixité des fonctions urbaines. Il ne faut plus qu’il y ait des quartiers voués exclusivement à l’habitat, d’autres au commerce (les entrées de ville), d’autres à l’activité, d’autres à l’université, aux nouvelles technologies, etc. Pour faire court, cela s’appelle le renouvellement urbain. Il est illusoire de croire que l’on pourrait guérir les quartiers en difficulté de leurs maux sans s’inscrire résolument dans cette perspective du renouvellement urbain - sauf à pérenniser les ghettos en se contentant de changer provisoirement leur apparence.

Il est plus simple, plus facile, de laisser les quartiers qui vont mal dans leur ghetto – et dans leur ministère – que de repenser la ville pour tous, une ville où chacun aura sa place dans tous les quartiers. Ceux qui proposent que l’on jette par dessus bord au plus vite la loi « Solidarité et renouvellement urbain » choisissent le statu quo, la ville à plusieurs vitesses et l’aggravation des ségrégations spatiales.

La nouvelle politique de renouvellement urbain suppose d’abord des moyens. Claude BARTOLONE a beaucoup fait pour que ces moyens soient au rendez-vous. Espérons que cela continuera.

Elle suppose aussi que l’on cesse de reléguer les quartiers pauvres dans des structures ministérielles et administratives spécifiques et que l’on cesse d’en faire l’objet d’une pseudo « politique de la ville » qui est un monument de complexité technocratique et une addition de zonages aux effets trop souvent stigmatisants.

Il faut faire clairement le choix d’une nouvelle politique urbaine se traduisant par des contrats ambitieux passés avec les agglomérations. On ne peut pas changer les quartiers sans changer la ville. On ne peut plus continuer à traiter de la politique dite « de la ville » dans un ministère… et des politiques urbaines dans les autres. C’est d’un ministère de toute la ville dont nous avons aujourd’hui besoin.