Article publié dans le quodidien Le Monde daté du mardi 2 juin 2003. Alors que d’autres sujets sollicitent, à juste titre, l’opinion, un projet de loi d’apparence technique, mais aux conséquences délétères, poursuit son chemin, entre l’Assemblée Nationale et le Sénat dans l’indifférence générale. Le 10 juin, il sera trop tard. Ce projet de loi sera adopté.
Il s’agit d’un projet habilitant le gouvernement à simplifier le droit par ordonnances.
Il prévoit une large extension de la procédure des marchés d’entreprise de travaux publics (METP) pour la réalisation des équipements publics.
Souvenons-nous des dérives graves entraînées il y a peu par les METP dans la région Ile-de-France.
La leçon n’aura pas servi.
On se prépare à faire pire, et à grande échelle.
Le texte est limpide. Les nouveaux contrats auront pour objet « la conception, la réalisation, la transformation, l’exploitation et le financement d’équipements publics ou la gestion et le financement de services, ou une combinaison de ces différentes missions ».
Autrement dit, les contrats porteront sur tout : on devra choisir en même temps l’entrepreneur, l’architecte, le banquier, l’entreprise de maintenance, celle qui assurera l’entretien, etc.
De tels contrats sont intrinsèquement pervers. Impossible de choisir d’abord l’architecte, qui conçoit un projet, puis, dans un second temps, l’entreprise la mieux disante qui le construira, et enfin celle qui assurera l’exploitation de l’équipement, et de mettre parallèlement en concurrence les banques pour assurer le financement.
Il faudra tout choisir en même temps. Les grands groupes imposeront les architectes. Les concours d’architecture verront leur nombre se réduire.
Comme l’écrit, à juste titre, le rapporteur du Sénat, M. Bernard SAUGEY, « ces nouveaux contrats dérogeraient à certains principes essentiels parmi lesquels la séparation des missions de maîtrise d’œuvre et d’entrepreneurs ainsi que le principe selon lequel le maître de l’ouvrage est la personne morale pour laquelle l’ouvrage est construit ».
Quant aux PME, elles pourront toujours juridiquement concourir, sans chance réelle de l’emporter. C’est encore M. Bernard SAUGEY qui écrit : « Avec la remise en cause de l’allotissement, les petits entrepreneurs auront en effet grand peine à gagner ce type de contrats. En revanche ils pourront toujours participer aux marchés obtenus par les grandes entreprises par le biais de la sous-traitance, avec toutes les difficultés que cela peut comporter ». Autrement dit, elles devront passer sous les fourches caudines des majors.
Avec un tel système, plus rien n’est transparent. On ne sait jamais ce qu’on juge, ce qu’on choisit. On perd la rigueur qui doit caractériser la dévolution de marchés publics clairs pour l’exécution de taches précises.
L’opposition a dit tout cela au Sénat comme à l’Assemblée, sans être entendue.
Mais il y a pire encore. Au moment où ce projet de loi est en discussion, le ministère de l’économie et des finances publie un avant-projet de décret fixant à 6,2 millions d’euros le seuil à partir duquel un donneur d’ordre public est obligé de publier un appel d’offre et de mettre en concurrence pour la réalisation de travaux. Ce même projet de décret prévoit que les maîtres d’ouvrages publics pourront désormais ne fixer qu’un seul critère d’attribution. Autrement dit, celui-ci pourra ne pas être le prix, c’est-à-dire que même au-delà de 6,2 millions d’euros, le donneur d’ordre ne sera pas tenu de prendre en compte les prix proposés par les candidats pour faire son choix.
La combinaison de ces dispositions se traduirait par l’absence de mise en concurrence sérieuse pour la plupart des projets. Et lorsqu’il y aura mise en concurrence, ce sera sur des entités tellement larges que tout deviendra indistinct.
Comment ne pas voir qu’un tel dispositif ouvrirait la porte aux arrangements, pressions, favoritismes, rentes de situation et trafics d’influences de toute sorte ? Comment ne pas voir que la confusion des genres entre « public » et « privé », hautement revendiquée par les inspirateurs de ces mesures, se traduirait, sous couvert de « simplification administrative », par de coupables ambiguïtés et par un coût élevé pour le contribuable.
La machine à corruption est en marche. Qui l’arrêtera ?

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