Tribune libre Il y a des moments où le vernis craque et où la vérité apparaît dans sa brutalité. Ce fut le cas au Sénat, lors du débat sur les psychothérapies et l’amendement dit « Accoyer ».

Aux sénateurs craignant quelque initiative venant changer la donne en dernière minute, le ministre Mattéi a d’abord déclaré qu’il n’y aurait pas de nouvel amendement gouvernemental. Il a, peu après, fortement conseillé à la commission saisie au fond de « rectifier son amendement ». N’y parvenant pas – enfin pas comme il l’aurait voulu ! -, il décida finalement de déposer un amendement du gouvernement, contrairement aux déclarations qu’il venait de faire.

Cet étrange comportement témoigne d’une volonté manifeste de « faire passer » à tout prix ledit texte du gouvernement, en dépit des dénégations qui avaient précédé.

L’amendement Accoyer est donc devenu l’amendement Mattéi.

Ce texte est brutal.

Il dispose que tous les médecins, quelle que soit leur spécialité, pourront se prévaloir du titre de « psychothérapeute ». Ainsi, tout dermatologue, ophtalmologiste ou radiologue, pourra demain exercer cette profession. Tout médecin est fixé sur son sort. Il est, pour M. Mattéi, par principe, psychothérapeute. Il l’est automatiquement.

En revanche, ceux qui ont suivi six ou sept années de formation en psychothérapie et peuvent se prévaloir d’une solide expérience ne sont pas, eux, fixés sur leur sort. Ils sont dans le brouillard. Ils savent qu’ils devront être – chaque mot compte – « enregistrés sur une liste dressée par le représentant de l’Etat » selon des modalités fixées par un décret dont nul ne sait rien !

Beaucoup de praticiens et d’intellectuels ont justement dénoncé dans l’amendement Accoyer la tutelle de la psychiatrie sur l’ensemble des psychothérapies relationnelles.

Ils ont justement dénoncé le simplisme en vertu duquel le champ de la psychothérapie serait problématique, conflictuel, traversé d’incertitudes – alors que le champ de la psychiatrie serait, lui, lisse, clair, univoque, drapé des attributs de la légitimité scientifique … Terrible simplisme qui ne résiste évidemment pas à l’examen.

Mais avec l’amendement Mattéi, on fait plus fort. On va plus loin. On décrète que toute légitimité médicale induit ipso facto une absolue légitimité en termes de psychothérapie ! C’est – on ne sait quels mots choisir – de l’hygiénisme, du scientisme, le retour aux poncifs du behaviorisme et du comportementalisme. C’est, à coup sûr, une logique sécuritaire qui en rejoint d’autres, et dont on présume qu’elle rassurera dans les chaumières. Mais quelle régression intellectuelle !

M. Mattéi a cru habile d’exclure les psychanalystes du champ de son amendement.

Certains, déjà, lui en sont reconnaissants.

Ils se réjouissent trop vite. D’abord parce qu’il est évidemment difficile d’établir une frontière étanche entre « psychanalyse » et « psychothérapie ». Mais aussi parce qu’on imagine mal qu’ils puissent se satisfaire du refus de dialogue auquel nous avons assisté. Car il y avait un autre amendement, celui de M. Gouteyron, vice-président UMP du Sénat, qui après avoir échangé avec des psychothérapeutes et des psychanalystes, proposa d’instaurer une instance de concertation associant les représentants des professionnels concernés, de formuler des règles de déontologie, en bref de respecter les régulations internes à ces professions – régulations souvent très élaborées –, et de s’appuyer sur elles.

Que n’avait-il pas fait !

On le lui fit savoir.

M. Mattéi et les représentants de la majorité UMP du Sénat trouvèrent la parade dans l’arsenal procédurier. L’amendement Mattéi fut déclaré prioritaire. La manœuvre n’avait qu’un seul objet : ne surtout pas courir le risque que l’amendement Gouteyron fût soumis au vote – comme on avait auparavant refusé que la mission d’information parlementaire proposée par Claude Estier fût mise en place.

Non, de telles pratiques ne donnent pas envie de « se réjouir ».

Il faut, certes, lutter contre les sectes, combattre certaines dérives. Mais la méthode doit être tout autre. M. Mattéi (et M. Accoyer qui approuve !) ont cru habile de satisfaire à bon compte les uns (les médecins) et les autres (les psychanalystes) au détriment des troisièmes (les psychothérapeutes). Ils ont cru subtil d’écarter par la procédure les appels au dialogue. Ils imaginent peut être qu’ils ont gagné, et que le piège se refermera. Mais gagne-t-on ainsi sur un tel sujet ? La souffrance psychique et le dialogue singulier qu’induit toute psychothérapie relationnelle sont incompatibles avec les normalisations autoritaires.