Donc, 78 morts ont été recensés à la suite du naufrage d'un bateau surchargé au large de la Grèce. Sans compter, nous dit-on, « des centaines de disparus ». Autant dire des centaines de morts. Ce que l'on sait, écrit Najat Vallaud-Belkacem, présidente de « France terre d'asile », c’est qu'« un avion de Frontex avait survolé le navire surchargé et à la dérive à la veille du naufrage, que les autorités de plusieurs États membres de l'Union européenne étaient informées de la situation, plusieurs heures avant qu'il chavire. » Et elle ajoute : « Le crime de non-assistance à personne en danger me paraît constitué. »
Que nous laissions ainsi au fil des années la mer Méditerranée qui nous est chère, que l'on a si souvent qualifié de « berceau » de nos civilisations, devenir un cimetière à ciel ouvert, que l'on y dénombre des dizaines de milliers de morts, voilà qui devrait secouer les consciences, et rappeler à ceux des politiques qui passent leur temps à exploiter la situation des immigrés à des fins politiciennes, que la priorité d'une France, d'une Europe humanistes ce serait d'abord, c'est d'abord, de mettre fin à cette hécatombe. Je sais les mesures qui ont été prises pour accroître les moyens de Frontex, lutter contre les passeurs, surveiller plus efficacement les départs de ces bateaux de la mort, dans la Méditerranée – comme dans la Manche et la mer du Nord. Mais comment ne pas penser qu'on peut faire mieux, être enfin totalement – ou presque – efficace. Forte de ses 500 millions d'habitants, l'Europe en a les moyens et la France peut et doit, en son sein, peser de tout son poids en ce sens.
Au regard de ces drames, de ces tragédies, oui, les manœuvres politiciennes visant à faire des étrangers le mal ou les maux de notre société apparaissent dangereuses et dérisoires.
La France a toujours accueilli des étrangers. Beaucoup d'étrangers sont morts pour la France. Ceux qui sont torturés, maltraités, violentés pour leurs idées et leurs convictions ont droit à l'asile, en vertu des engagements signés par la France et qui s'imposent à très juste titre. Enfin, nous ne pouvons nier que beaucoup viennent chez nous pour des raisons économiques et nous devons nous attendre à ce que d'autres viennent à l'avenir pour des raisons écologiques. J'ajoute que nous devons nous réjouir d'accueillir des étudiants du monde entier et qu'il est contre-productif de faire de leur inscription dans une université, et d'abord de l'obtention d'un visa, un vrai parcours du combattant. Ces étudiants seront les meilleurs défenseurs de la France et de notre rayonnement économique et culturel.
Je sais que le discours que je viens de tenir n'est pas dominant. Il est pourtant vrai. Ce qu'on entend chaque jour, c'est que les immigrés seraient un « danger » – ce qui crée à leur égard une constante tension sociale et accroît les réflexes de refus.
Qu'il faille des lois et des règles bien sûr ! Mais après avoir réglé le tragique problème précité des naufrages, discutons-en, travaillons-y, sans pour autant développer constamment à ce sujet toutes sortes de fantasmes.
Et je tiens à cet égard à écrire que je suis inquiet de lire les récentes déclarations des dirigeants des « Républicains » et notamment leur volonté de rompre avec les règles européennes en matière d'immigration. À ma connaissance, ce n'était pas la position de Jacques Chirac, ni même de Nicolas Sarkozy. C'est certes la position du Front national rebaptisé Rassemblement national.
Je crains qu'en adoptant ces positions, les Républicains ne fassent son jeu. Ceux qui se reconnaissent dans ce type de thématique préfèrent toujours l'original à la copie
Jean-Pierre Sueur