Deuxième partie : le vote à l'Assemblée Nationale

 

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J’écrivais la semaine dernière que je reviendrai sur le débat qui eut lieu en 1920 à l’Assemblée Nationale, soit 26 ans après l’adoption par le Sénat de la proposition de loi instituant une fête nationale de Jeanne d’Arc, le deuxième dimanche du mois de mai.

 

Mais quelle ne fut pas ma surprise, en consultant les archives de l’Assemblée, de constater qu’il n’y eut pas de débat : la proposition de loi fut en effet adoptée par un vote à main levée, sans aucun débat, le 24 juin 1920.

 Alors, pourquoi fallut-il attendre 26 ans pour que ce vote, qui paraît n’avoir été qu’une formalité, eût lieu ?

 La réponse est dans la remarquable analyse que Jean-Pierre Delannoy a publiée dans la Revue Parlementaire en février 2012.

 Celui-ci rappelle d’abord que la proposition de loi initiale, dont le premier signataire était Joseph Fabre, alors député, fut signée en 1884 par 251 députés républicains. Il la reprit, comme on l’a vu, en 1894, alors qu’il était devenu sénateur.

 Et puis, « malgré l’obstination du Sénat », celle-ci reste lettre morte. Jean-Pierre Delannoy explique qu’ « avec l’affaire Dreyfus et la Séparation qui dressent l’une contre l’autre l’Eglise et la République, l’intention consensuelle de la fête de jeanne d’Arc est manifestement hors du champ de l’actualité politique ».

 Et de nombreuses tentatives connaissent le même sort jusqu’à l’intervention de Maurice Barrès qui redépose la proposition de loi en avril 1920, appuyé par 284 députés, « majoritairement des membres de n’entente républicaine et démocratique, plus dix-neuf radicaux, dont Edouard Herriot et vingt-quatre « indépendants » (…) mais aucun socialiste » (J-P Delannoy).

On voit donc que ce qui était au départ un texte signé, en 1884, puis défendu, en 1894, par nombre de députés puis de sénateurs de gauche dans le but d’instaurer une fête civile et laïque afin de ne pas laisser à l’Eglise le monopole du culte de Jeanne d’Arc, allait devenir, sous la Chambre « bleu horizon », une entreprise d’union nationale, largement soutenue par la droite.

Je veux citer à cet égard l’exposé des motifs de la proposition de 1920, rédigé par Maurice Barrès, qui est très explicite :

« Jusqu’à cette heure, nous n’avons pas abouti. Pourquoi ? Disons-le franchement, il restait un doute dans certains esprits. Quelques-uns craignaient que la fête de Jeanne d’Arc ne fût la fête d’un parti.

 Il n’y a pas un Français, quelle que soit son opinion religieuse, politique ou philosophique, dont Jeanne d’Arc ne satisfasse les vénérations profondes. Chacun de nous peut personnifier son idéal. Etes-vous catholique ? C’est une martyre et une sainte que l’Eglise vient de mettre sur les autels. Etes-vous royaliste ? C’est l’héroïne qui a fait consacrer le fils de Saint-Louis par le sacrement gallican de Reims. Rejetez-vous le surnaturel ? Jamais personne ne fut aussi réaliste que cette mystique : elle est pratique, frondeuse et goguenarde, comme le soldat de toutes les épopées ; elle a ses lèvres toutes fleuries de ces adages rustiques qui sont la sagesse de nos paysans ; elle incarne le bon sens français. Pour les républicains, c’est l’enfant du peuple qui dépasse en magnanimité toutes les grandeurs établies, et les révolutionnaires eux-mêmes, en 1793, décorèrent de son surnom, « la bergère », le canon fondu avec le métal de la statue d’Orléans. Enfin, les socialistes ne peuvent pas oublier qu’elle disait : « Les pauvres gens venaient à moi volontiers parce que je ne leur faisais pas de déplaisir », et encore : « J’ai été envoyée pour la consolation des pauvres et des malheureux ».

 Et Maurice Barrès conclut : « Ainsi, tous les partis peuvent se réclamer de Jeanne d’Arc. Mais elle les dépasse tous. Nul ne peut la confisquer ».

 L’allusion était déjà claire dans l’exposé des motifs de Barrès. Mais elle sera explicite dans le rapport sur la proposition de loi signée par le député Félix Gaborit : comme le note Jean-Pierre Delannoy – que je cite à nouveau – « Pour la première fois dans un texte parlementaire la canonisation de Jeanne d’Arc » est invoquée comme un argument pour un texte de loi.

 On voit donc que l’état d’esprit de 1920 n’est plus celui de 1884 ou de 1894, même si subsiste la volonté que la « fête civile » prenne toute sa place au moment où Jeanne d’Arc est pleinement – il a fallu attendre quelques siècles ! – reconnue par l’Eglise comme une sainte.

 Le vote de la loi eut lieu, le 24 juin 1920, un mois après la canonisation de Jeanne d’Arc.

 

Jean-Pierre Sueur.

 

 

 

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