Chargé par Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de la solidarité, d'une mission sur la politique de la ville, Jean-Pierre Sueur devait remettre son rapport à Lionel Jospin vendredi dernier. Dans ce document, le maire d'Orléans présente cinquante propositions dont les principales visent à sortir de la logique de zonage et à adopter une loi de programmation sur dix ans.
La Gazettes des Communes n°1441 Quel bilan tirez-vous des différentes politiques de la ville menées depuis une quinzaine d'années ?
On peut distinguer trois grandes périodes dans la politique de la ville. La première a été marquée par une intervention sur les quartiers à travers deux types de dispositifs : habitat et vie et sociale (HVS) et le développement social des quartiers (DSQ). Ces politiques ont eu le grand mérite de mettre en mouvement la politique de la ville.
Mais on s'est rendu compte qu'on ne pouvait pas régler la mixité sociale en s'enfermant dans la limite des quartiers. C'est pourquoi nous sommes passés, en seconde période, à celle des contrats de ville. Il s'agissait d'élargir la politique de la ville au niveau de l'agglomération. Si le principe était bon, sa mise en œuvre a montré les limites d'un tel dispositif. Nous en sommes arrivés à des formules assez complexes et à des effets de dilution. Les moyens dégagés n'ont pas toujours été déployés sur des sites qui l'exigeaient en priorité.
La troisième période concerne le Plan de relance pour la ville lancé par le précédent gouvernement. On a assisté alors à la montée du zonage : aux zones urbaines sensibles se sont ajoutées les zones de revitalisation urbaine et les zones franches. Il convient d'y ajouter les grands projets urbains et les dispositifs européens. Au total, la France compte actuellement entre 2 et 3 000 périmètres qui sont souvent illisibles, enchevêtrés et aux contours arbitraires.
Vous proposez des mesures radicalement différentes ?
La situation appelle une mobilisation nationale pendant une longue durée. Il y a actuellement moins de mixité et plus de ségrégation dans les quartiers qu'il y a vingt ans. Si nous n'intervenons pas massivement et sur le long terme, nous aurons d'ici peu quelque six ou sept cents quartiers où se concentreront tous les problèmes : chômage, drogue, insécurité, etc. Ces lieux seront alors des zones de non-droit et de relégation. Nous risquons également d'assister au développement d'un modèle communitariste qui serait contraire à notre ambition républicaine.
La France a été capable de réaliser des grands projets en y mettant les moyens, comme le réseau TGV. Nous devons être aujourd'hui en mesure d'en faire autant pour la ville. C'est la raison pour laquelle je préconise une loi de programmation sur dix ans. Nous proposons que l'effort public consacré à la politique de la ville, pendant cette période, soit au minimum au niveau du financement affecté chaque année aux emplois-jeunes. Mais l'effort public ne signifie pas effort de l'Etat seul. Cela concerne l'Etat, les collectivités locales et bien d'autres partenaires.
Pourquoi une loi de programmation sur dix ans et sur quoi doit-elle porter prioritairement ?
Parce que le temps de la ville est long et celui des échéances politiques est court. Il faut donc un effort soutenu pendant longtemps.
Quant à sa mise en œuvre, elle doit se faire avec tous les acteurs, et en priorité avec les élus locaux.
Je pense que nous ne pouvons pas faire l'économie d'un remodelage profond de certains quartiers. Ce remodelage doit passer par la construction d'un nouvel habitat et, dans certains cas, par la destruction de l'ancien. Mais attention : la démolition n'est pas une fin en soi et la construction doit précéder la démolition. De plus, nous ne devons pas nous confiner à l'aire du quartier, il faut œuvrer sur des aires urbaines plus larges pour trouver de nouveaux équilibres.
Nous devons également nous interroger sur la façon dont fonctionne la ville, qui reste une juxtaposition de secteurs possédant chacun une fonction : centre, faubourgs, périphérie, commerces, campus, zone d'activité, etc.
Je propose qu'on reprenne l'idée d'une loi Malraux pour les entrées de ville. Les contraintes sont fortes pour les centres-villes, pourquoi ne le sont-elles pas lorsqu'il s'agit des périphéries et des entrées de ville où le laisser-faire a trop longtemps dominé ? Nous devons mettre en œuvre un véritable droit à la mobilité en repensant des systèmes de déplacement qui ne soient pas uniquement basés sur la voiture. Pour y parvenir, le plus judicieux serait d'opérer une partie des crédits affectés à la construction des routes vers de nouvelles formes de transport urbain qui bénéficient d'une inscription de 700 millions de francs dans le budget de l'Etat, alors que le Gart chiffre les besoins à 80 milliards de francs.
Qui piloterait ces grands chantiers au niveau de l'agglomération ?
Nous n'échapperons pas à une réforme institutionnelle. La première viserait les agglomérations. Je propose l'élection de ses représentants au suffrage universel. L'espace réel de la ville doit aussi être un espace de démocratie. De la même manière, je considère que le développement des conseils de quartier est nécessaire.
Que devient la politique contractuelle entre Etat et collectivités locales ?
Nous proposons de mettre en place des contrats d'agglomération sur dix ans, du type contrat de plan. Leur mise en œuvre, leur suivi et leur évaluation seront placés sous l'autorité de l'Etat et des autorités d'agglomération. Pour ce qui est de l'aspect opérationnel dans les communes et les quartiers, je propose qu'on accroisse le pouvoir des maires et des municipalités.
Quels moyens supplémentaires cette loi de programmation pourrait-elle dégager ?
Je propose qu'on mobilise les dotations de l'Etat différemment, en dégageant de nouvelles priorités. N'oublions pas que la DSU ne représente que 2 % de la DGF. Dans le cadre de la renégociation des contrats de plan, l'Etat doit pouvoir négocier une mobilisation plus importante des régions et des départements en faveur de la politique de la ville.
La Caisse des dépôts pourrait également fournir un effort supplémentaire en rendant plus incitatifs les prêts pour les projets urbains (PPU). On peut par ailleurs envisager que la Caisse finance un certain nombre d'opérations sur ses fonds propres. Il me paraît enfin souhaitable que le gouvernement pèse de tout son poids dans le cadre des négociations européennes afin que, dans la perspective de la réforme des fonds structurels, la dimension urbaine soit mieux prise en compte.
Etes-vous favorable à l'abandon des zonages ?
N'oublions pas que le zonage n'a de sens que s'il est transitoire. Sa raison d'être c'est de donner plus à un secteur géographique pour qu'il rejoigne le droit commun. Il faut donc négocier la sortie des zonages. Mais pour ne pas pénaliser ceux qui en bénéficiaient, je propose de mettre en place un système incitatif en versant à l'agglomération concernée le financement que l'Etat lui attribuait jusque-là. Il ne doit pas s'agir d'un désengagement de l'Etat mais d'une autre façon de financer.
Le bilan que je tire montre les limites des politiques dites de discrimination positive. Je préfère qu'on parle plutôt d'égalité républicaine. Pour ce faire, la loi de programmation que je préconise doit se fixer l'objectif de rétablir l'équilibre, notamment dans l'implantation des services publics dans les quartiers en difficulté. Cela vaut pour la police, pour la Poste ou pour la justice. A cet égard, nous proposons la création de 200 maisons du droit et de la justice dans les deux ans.
De quel pouvoir et de quels moyens, selon vous, le ministre chargé de la Ville doit-il disposer ?
Je préconise que le ministre en charge de la Ville dispose de réels pouvoirs interministériels et soit doté de crédits spécifiques. Il lui manque actuellement un levier financier fort pour agir.
La Délégation interministérielle à la ville (DIV) rénovée, renforcée, doit constituer une direction forte sur laquelle s'appuiera le ministre de la Ville, tout en gardant sa fonction interministérielle. Le lieu de débat doit être le Conseil national des villes (CNV) rénové. Pour ce faire, cette assemblée consultative doit être élargie à un nombre plus important de partenaires : HLM, associations, chefs de projets, partenaires sociaux, etc.
Je préconise aussi de mobiliser sur un certain nombre de grands projets de rénovation Etat, collectivités locales, entreprises et associations regroupés au sein de structures de type GIP ou SEM.
Bruno Guentch
Thème : Ville