Auteur de nombreux ouvrages, enraciné dans le village de Bou situé au bord de la Loire à l’est d’Orléans, Christian Chenault est ethnologue. Le dictionnaire nous apprend que l’ethnologie a pour objet « l’étude comparative et explicative de l’ensemble des caractères culturels et sociaux des groupes humains. » On imagine souvent que l’ethnologue se préoccupe surtout de sociétés lointaines et perçues comme exotiques. Mais rien n’est plus faux ! Les méthodes de l’ethnologie s’appliquent à toute société, à toute civilisation.

Christian Chenault en fournit l’illustration en poursuivant inlassablement ses recherches sur les cultures populaires dans notre pays et notre région.

C’est ainsi que son dernier livre, Chansons traditionnelles et cultes populaires (publié aux éditions Loire et terroirs) nous offre une passionnante analyse d’un corpus impressionnant de chansons traditionnelles et populaires puisqu’il compte 450 chansons publiées et 150 enregistrées, soit six cents textes au total.

Il les étudie en référence aux saints qui ont ponctué le calendrier des fêtes populaires en une véritable « galerie » allant d’Antoine (17 janvier) à Nicolas (6 décembre), en passant par Vincent (22 janvier), Blaise (3 février), Jean (24 juin), Pierre (29 juin), Marguerite (20 juillet), Madeleine (22 juillet), Anne (26 juillet), Maud (15 août), Crépin (25 octobre), Hubert (3 novembre), Martin (11 novembre), Catherine (25 novembre), Éloi (1er décembre) et Barbe (4 décembre).

Il suffit de parcourir les villages et villes du Loiret pour mesurer combien ces prénoms (qui donnent lieu chacun à un chapitre du livre) sont encore le nom, souvent aux dates dites ou proches, de fêtes vivaces, et que celles-ci sont souvent liées à un métier ou à une corporation.

En même temps qu’il nous rappelle, avec un réel plaisir, les histoires et légendes attachées à ces saints et à ces fêtes, Christian Chenault débusque les idées toutes faites, explique d’où elles viennent et comment elles évoluent et fait œuvre scientifique. C’est donc une vraie culture populaire vivante – le contraire d’un almanach vieillot et figé – qu’il restitue dans son livre.

Ainsi, écrit-il, « les références à de saints personnages sont rarement religieuses et s’affranchissent de textes relatant leur vie […], le plus bel exemple étant Sainte Catherine confondue avec Sainte Barbe. » Ou encore : « Saint Vincent n’a jamais été vigneron. »

De même, Christian Chenault nous apprend que, n’en déplaise aux « néo-mariniers », Saint Nicolas « apparaît fort peu dans les chansons dites de la marine de Loire. » En revanche, il est, comme chacun le sait, lié à l’enfance en vertu d’une tradition du Nord et de l’Est, et non du Val de Loire – et le livre nous offre une analyse des diverses interprétations de la « légende des enfants au saloir. » Ce qu’on sait moins, c’est que Saint Nicolas fut aussi longtemps le « patron des amoureux. » C’est ainsi qu’en Orléanais, « les jeunes filles et les jeunes hommes qui voulaient se marier allaient l’invoquer au pied de la croix érigée au pied du pont Saint-Nicolas qui sépare Saint-Pryvé-Saint-Mesmin de Saint-Hilaire-Saint-Mesmin. »

Christian Chenault montre que si cette culture populaire trouve sa source dans de « saints personnages », ceux-ci ont bien souvent dans la chanson populaire « des représentations pas toujours très catholiques. » Ainsi, tous les registres cohabitent, de la religion à la grivoiserie en passant par les conflits sociaux et toutes sortes d’antagonismes, mais aussi de syncrétismes.

Enfin, l’assignation d’une chanson ou d’une légende – et même d’une fête – à un terroir est souvent illusoire : « Tout comme pour les contes, on s’aperçoit que les chansons se réfèrent à des termes universels véhiculés sur tout le territoire et même au-delà, par des soldats, les Compagnons du Tour de France, les marchands ambulants ou les colporteurs. Des populations locales se les sont appropriées et les ont souvent adaptées à leurs contrées. Plutôt que des chansons de Bretagne, de Lorraine ou du Berry, nous avons souvent affaire à des versions bretonnes, lorraines ou berrichonnes d’une même chanson. »

En bref, Christian Chenault démystifie les idées toutes faites, mais en même temps il nous fait mieux connaître et aimer un immense patrimoine.

Jean-Pierre Sueur

  • Aux éditions Loire et terroirs, 95 pages, 22 €.