Professeur émérite à la Sorbonne et ancien professeur à l’Université d’Orléans, Claude Michaud nous livre dans son dernier ouvrage, paru aux éditions de la Sorbonne, consacré au jansénisme à Orléans au XVIIIe siècle, une page très méconnue de son histoire. On a en effet bien du mal à s’imaginer aujourd’hui l’ampleur des controverses qui ont alors agité Orléans, « bastion du jansénisme », et qui ne relevaient pas seulement de la théologie, mais de la vie même de la cité, dans toutes ses composantes.

Je ne reviendrai pas ici sur les sources du « jansénisme », sur les disputes entre « la liberté humaine et la grâce », sur Port Royal, sur les Provinciales de Blaise Pascal, défendant les jansénistes et pourfendant leurs adversaires jésuites. Non, je suivrai simplement de chapitre en chapitre l’histoire des évêques d’Orléans, précisément décrite par Claude Michaud. Il y eut d’abord le cardinal Pierre de Cambon du Coislin (1666-1706) tout à fait bienveillant. Son successeur, Louis Gaston Fleurian d’Armenonville (1706-1733) l’était beaucoup moins. Il entreprend une « purge » contre les jansénistes « mal pensants ». Il s’ensuit une vive querelle entre les « bullistes », qui soutiennent la bulle « Unigenitus », publiée le pape, et les « appelants » qui appellent à un concile général. Dix curés d’Orléans se révoltent contre l’évêque. Celui-ci les interdit de prédications et de confessions – et même de mariages (sources de revenus). Les curés d’Olivet et de Darvoy sont sanctionnés. Deux couvents, celui des Ursulines, place Saint-Charles (surnommées les « bourniquettes ») et celui de Voisins à Saint-Ay, sont les places fortes de la contestation. L’évêque interdit que l’on dispense les derniers sacrements aux jansénistes mal pensants. Avec son successeur, Nicolas Joseph de Pâris (1733-1753), c’est pire encore. Le chanoine Sellier meurt dans une nuit de 1739 privé de sacrements, ce qui suscite, nous rapporte Claude Michaud, un « soulèvement universel de toute la ville. »

Lui succède l’évêque de Montmorency-Laval (1753-1757) dont la démission met un terme à « une persécution d’autant plus mal ressentie qu’elle prenait pour cible des clercs, des religieuses et des laïcs fort âgés. »

Au-delà de ces épisodes, l’intérêt du livre de Claude Michaud réside dans le rapport qu’il fait entre cette vraie « guerre de religion » et son substrat sociologique : « Le jansénisme du siècle des Lumières – écrit-il –, ne fut plus le refuge des aristocrates et des robins confrontés à l’emprise de la monarchie absolutiste (…) mais bien l’expression religieuse de couches sociales dynamiques négociantes et officières (…) À Orléans, le milieu des négociants, surtout celui des grands raffineurs majoritairement concentrés dans les paroisses Notre-Dame de Recouvrance et Saint-Paul, illustra cet attachement à la doctrine condamnée puis tolérée. » (Il y avait à Orléans à la fin du XVIIIe siècle « 24 raffineries de sucre et 250 chaudières. ») Et parmi les grandes figures de cette mouvance janséniste, Claude Michaud dresse les portraits de Robert-Joseph Pothier, de Daniel Jousse, mais aussi ceux des familles Desfriches et Vandebergue de Villiers…

Toute cette histoire s’explique par des ressorts psychologiques. Claude Michaud cite Monique Cottret qui écrit : « L’insoumis est persécuté. Le rebelle est une victime. Voilà qui rend le jansénisme sympathique. » Comment ne pas voir qu’alors que le siècle des Lumières s’avance, les querelles théologiques recoupent largement de profondes évolutions sociologiques.

Jean-Pierre Sueur