L’ouverture du premier procès d’Alexandre Benalla a conduit nombre de médias à revenir sur la commission d’enquête parlementaire dont j’ai été co-rapporteur avec ma collègue Muriel Jourda.
Comme il y eut un « avant » et un « après » la commission « Outreau » à l’Assemblée Nationale, commission qui a beaucoup marqué, car elle a porté sur les lourds dysfonctionnements de l’institution judiciaire qui avaient entraîné la condamnation de personnes innocentes, je crois qu’il y a, et qu’il y aura, un « avant » et un « après » cette commission d’enquête « Benalla » au Sénat, et cela pour plusieurs raisons.
 
1. D’abord, chacun a pu mesurer combien la mission de contrôle dévolue au Parlement est essentielle. On ne lui reconnaît souvent qu’une seule mission : élaborer, écrire la loi et la voter. Or, la Constitution lui en reconnaît deux, l’une et l’autre importantes : voter la loi, bien sûr, mais aussi assurer le contrôle du pouvoir exécutif. Je suis convaincu qu’il n’existe pas de vraie démocratie sans un tel pouvoir de contrôle au nom de la Nation par ceux qui en sont les élus.
 
2. L’exercice de cette mission de contrôle exige une totale indépendance de la part de ceux qui l’exercent. Les parlementaires sont, certes, des élus politiques. Mais lorsqu’ils sont membres d’une commission d’enquête parlementaire, ils ne sont pas les représentants d’un parti ou d’un groupe politique. Ils se doivent d’établir la vérité, toute la vérité, sur les faits qui sont l’objet de la commission d’enquête et d’élaborer des propositions pour que les dysfonctionnements constatés ne se reproduisent pas. C'est pourquoi ils ont le pouvoir d’auditionner tous les citoyens – à l’exception, notable, du président de la République en vertu du principe de séparation des pouvoirs, garantie par la Constitution. C’est dire qu’ils doivent assumer leur mission dans une totale et intégrale indépendance d’esprit.
 
3. Et c’est justement en raison d’un défaut d’indépendance que l’un des deux commissions d’enquête parlementaires qui ont été créées sur l’affaire Benalla, celle de l’Assemblée Nationale, « explosa en vol », cependant que celle du Sénat, pleinement pluraliste dans sa composition – chacun des groupes parlementaires y était représenté – conduisit sa mission à son terme, décidant souverainement des personnes qu’elle auditionnerait, et menant en toute clarté sa recherche de la vérité, ainsi que l’élaboration de ses propositions.
 
4. Je me souviens qu’un débat eut lieu au départ, au Sénat, pour savoir si les auditions seraient publiques, et donc télévisées ou non. Il fut heureusement décidé qu’elles seraient publiques, ce qui n’avait pas été le cas pour les commissions d’enquête précédentes. Les Français purent donc assister à quarante heures de contrôle démocratique en direct. Là encore, il y aura un « avant » et un « après » cette commission d’enquête. Je suis persuadé qu’on ne reviendra pas en arrière et qu’il est bien qu’il en soit ainsi.
 
5. Être auditionné devant une commission d’enquête parlementaire n’est pas anodin. Les personnes qui le sont doivent jurer de dire « la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. » Un tel serment n’est pas requis devant un juge. Ne pas le respecter peut valoir à la personne qui s’en rend coupable de devoir en répondre devant la justice, dès lors que les instances de l’assemblée parlementaire concernée décident de la saisir.
 
J’ajouterai que le rôle d’une commission d’enquête parlementaire est différent de celui de la <justice. Une commission d’enquête parlementaire ne juge pas. Elle ne condamne pas. Elle recherche la vérité, met à jour des dysfonctionnements et fait des propositions pour y remédier. Aujourd’hui, le temps de la justice est venu. Elle exerce sa mission en toute indépendance. Celui de la commission d’enquête du Sénat s’est achevé le jour où nous avons rendu notre rapport. C’est avec une satisfaction, que je crois légitime, que nous pouvons constater, deux ans et demi plus tard que depuis ce jour aucun des faits établis par notre rapport, aucune de nos affirmations n’ont été invalidés ou démentis.
Jean-Pierre Sueur
 
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