Éditorial du numéro de novembre 2021 (35) de La Lettre de Jean-Pierre Sueur
Montesquieu, mieux que tout autre, a démontré les vertus de la séparation des pouvoirs. Il est essentiel et salutaire pour la démocratie que les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire assument pleinement les prérogatives qui leur reviennent en vertu de la Constitution.
La Cinquième République a eu le mérite de doter notre pays d’un exécutif fort. C’était nécessaire : le régime précédent l’avait amplement démontré.
Mais un exécutif fort n’appelle pas un législatif faible. Tout au contraire.
Il revient au Parlement d’écrire et de voter la loi, mais également de contrôler le pouvoir exécutif. Ces tâches sont éminentes. Elles sont dévolues aux représentants de la Nation que sont les députés et les sénateurs.
Si je rappelle ces évidences, c’est parce qu’il me paraît aujourd’hui indispensable de le faire.
Il existe une possibilité pour le pouvoir exécutif de se substituer, pour un temps et dans certains domaines, au pouvoir législatif, dès lors qu’il y a été habilité par le Parlement. Cela s’appelle le recours aux ordonnances. Celui-ci peut se justifier par l’urgence ou par des circonstances exceptionnelles comme la crise sanitaire.
Mais la crise sanitaire ne saurait justifier les centaines d’ordonnances qui nous sont « infligées » (fût-ce après des lois d’habilitation souvent très générales) dans quantité de matières, jusqu’à l’organisation de l’État, de sa fonction publique, de ses inspections, des lieux de formation de ses responsables…, sujets dont il serait pourtant nécessaire que le Parlement puisse débattre.
Si l’on ajoute à cette pléthore d’ordonnances les limitations apportées au droit d’amendement et la quasi généralisation de la « procédure accélérée » qui permet d’abréger la « navette » et qui n’est pas sans conséquence sur l’écriture de la loi, on voit qu’il n’est pas superflu de défendre les droits du Parlement. C’est ce à quoi je me suis voué en écrivant ou en défendant plusieurs propositions de loi.
Il ne s’agit pas, soyez-en sûrs, d’une défense corporatiste !
Non, il s’agit de retrouver l’équilibre des pouvoirs, sans lequel la République n’est plus elle-même.
Il s’agit d’en revenir à Montesquieu.
Jean-Pierre Sueur