Le résultat des élections législatives appelle de ma part deux séries de remarques.
1 – Sur nos institutions
Il était inévitable que cela arrive.
Depuis plus de cinquante ans, nous vivons avec un dispositif dans lequel les législatives sont la confirmation des présidentielles. Dès lors qu’un président était élu, quelle que fût sa couleur politique, les Français lui accordaient une large majorité à l’Assemblée Nationale.
Ce dispositif fut longtemps perçu comme un gage de stabilité. Le dernier quinquennat nous a appris que les choses avaient changé et qu’il devenait contre-productif.
Le spectacle offert de centaines de députés levant inconditionnellement leur doigt pour approuver les projets de loi du gouvernement, et donc, du président de la République, est devenu quelque peu attristant, comme si les choses étaient figées et qu’il n’y avait plus de capacité pour les élus de la majorité d’exercer leurs prérogatives avec une réelle dose d’indépendance.
C’est ce qui a suscité un intérêt accru pour le Sénat qui a pu faire preuve très librement de pluralisme et d’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif.
Mais il était inévitable que ce qui est arrivé ce dimanche se produise : une majorité pour le président de la République sans que ce soit une majorité absolue.
L’histoire a montré que cela n’empêchait pas d’avancer. Ainsi Michel Rocard a-t-il pu accomplir des réformes majeures – le Revenu Minimum d’Insertion, la CSG – sans disposer d’une majorité absolue. Il lui a fallu, certes, beaucoup de détermination, mais il a montré que c’était possible – même s’il est vrai que l’usage de l’article « 49-3 » de la Constitution était alors plus facile qu’il est aujourd’hui.
J’ajoute que la situation que nous connaissons aujourd’hui en France est banale dans la plupart des pays d’Europe, dans lesquels les majorités absolues très larges que nous avons connues en France sont plutôt l’exception.
Et j’ajoute encore qu’Emmanuel Macron a eu tort de ne pas faire de réforme du mode d’élection des députés durant son premier quinquennat. L’expérience des années 1986-1988 nous a montré que la proportionnelle départementale présentait le double avantage de permettre une représentation juste du corps électoral et de maintenir les députés en relation avec le « terrain » (ce que ne permet pas la proportionnelle nationale).
Sur la base d’un tel mode de scrutin, il serait imaginable – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui – de construire une majorité et un gouvernement fondés sur un « contrat de législature » tel qu’il était préconisé par Pierre Mendès France.
Mais nous n’en sommes pas là. Nous sommes devant une Assemblée Nationale représentative des diversités de la population française, et donc pluraliste.
Au pouvoir exécutif d’agir dans ce contexte, ce qui supposera de la clarté et de la détermination.
Emmanuel Macron a donné le sentiment de pencher à gauche durant la présidentielle, puis à droite durant les législatives.
Mais pour habile qu’elles puissent paraître, ces stratégies successives ont échoué.
On ne peut plus gouverner la France à la godille.
2 – Sur le Rassemblement national
Nous avons désormais deux députés de ce parti (et nous avons failli en avoir trois, à onze voix près) dans le Loiret.
J’ai dit et redit, écrit et réécrit qu’il y avait là un vrai danger.
Dans leur diversité, des hommes comme Jacques Chirac, Michel Rocard et une femme comme Simone Veil ont toujours dénoncé toute compromission avec ce parti dont les valeurs sont contraires aux fondements de la République.
Or je dois dire, à mon grand regret, que contrairement à ce que nous avons connu dans le passé, les expression fortes et fermes à ce sujet ont fait défaut ou n’ont pas été suffisamment transmises et relayées auprès des électeurs des circonscriptions concernées.
Peu à peu, tout se banalise. Et les silences coupables – hélas ! – n’ont pas manqué par rapport à cette banalisation.
Alors, il nous faudra encore et toujours « parler vrai » sur ce sujet essentiel.
Jean-Pierre Sueur