Chacun peut, certes, évoluer. Mais voilà qu’après un parcours déjà complexe, Olivier Dussopt vient, en quelques lignes lapidaires, d’envoyer aux gémonies dans le Journal du dimanche du 20 août, à la fois le socialisme démocratique et la social-démocratie, voués, l’un et l’autre, aux antiquités, au bénéfice d’une grande idée neuve : le progrès ! Le progrès nous est ainsi offert, sous les auspices d’Auguste Comte, rien de moins, pour préparer les temps nouveaux. Auguste Comte a, certes, joué un rôle dans l’histoire de la pensée. Mais mon premier réflexe serait d’envoyer à Olivier Dussopt quelques centaines de pages noircies par Charles Péguy au début du siècle précédent pour dénoncer les fatuités de certaines conceptions du progrès, les perversités du monde prétendument moderne, sans compter le positivisme d’État. Bien sûr que la notion de progrès a recouvert de belles et bonnes avancées pour l’histoire et l’humanité ! Mais l’inverse est aussi vrai. Il y a une quarantaine d’années déjà, des penseurs ouverts à l’écologie nous parlaient des dégâts du progrès. Autrement dit, la notion est ambivalente. Elle recouvre quantité de marchandises. C’est un mot-valise.
Et il ne serait pas utile que l’on s’arrête à ce tour de passe-passe purement nominaliste si le socialisme démocratique et la social-démocratie n’avaient pas un passé, un présent et un avenir.
Le passé, ce fut une révolte contre tout ce qui a transformé, au nom de vulgates marxistes, un formidable espoir en terreur et en barbarie.
Le présent, c’est ce qui est à l’œuvre dans nombre de pays d’Europe où les sociaux-démocrates exercent le pouvoir, y participent, ou s’y préparent.
C’est cette conception de la société – y en a-t-il de meilleure ? – qui lie de manière irréductible la justice et la liberté, la démocratie et la solidarité, l’économie ouverte et la gestion par la puissance publique d’un bien commun, d’un intérêt général, que le marché – pour nécessaire qu’il soit – ne saurait engendrer spontanément en raison de sa congénitale myopie. C’est le respect intégral partout de tous les droits de tous les êtres humains – et pour cela l’attachement à des règles, des lois, des principes de justice au plan national, comme en Europe et dans le monde.
Ce projet, on le voit, pris dans sa globalité, s’oppose à tous les conservatismes qui ont en commun de vouloir que tous les ordres injustes perdurent.
Reste une question. Pourquoi Olivier Dussopt veut-il le renier pour s’adonner au culte du progrès ?
Il y a une réponse. Le choix du « ni droite ni gauche » est finalement si contraire à notre histoire – même s’il y a évidemment plusieurs gauches et plusieurs droites – que ses promoteurs peinent à le définir. Ou ils le trahissent et le trahiront, en pactisant avec la droite. Ou ils ont, et auront, bien du mal à dénommer cet entre-deux : d’où la recherche de mots-valise. Et j’ai bien peur, qu’en l’espèce, le progrès ne soit qu’un placebo destiné à dénommer une vacuité. Mais aucune vacuité n'est innocente. Car les alternatives peuvent être terribles.
Alors, plutôt que de faire du progrès un placebo, il est tellement plus juste de se référer à ce qui peut offrir un avenir à nos sociétés : la social-démocratie toujours à reconquérir, à repenser, à renouveler. Mais ne le cachons pas à Olivier Dussopt et à ses amis : faire un tel choix ce serait – ce qui semble si difficile pour eux – choisir la gauche !
Jean-Pierre Sueur