L’avouerai-je ? Ce fut avec une certaine émotion que j’ai participé la semaine dernière au colloque organisé au Sénat par Jean-François Boudet et par l’équipe de la revue Résonance sur les trente ans de la loi que, jeune secrétaire d’État, j’ai présentée avec l’appui, que je n’oublierai jamais, de Pierre Bérégovoy, devant l’Assemblée nationale et le Sénat en 1992 et qui fut promulguée le 8 janvier 1993. La salle Médicis du Sénat était pleine, preuve que le sujet est encore d’actualité… Il le sera toujours, puisqu’il s’agissait du droit funéraire, question austère, mais qui concerne toutes les familles de notre pays !
On a souvent retenu que cette loi du 8 janvier 1993 a aboli le monopole communal des pompes funèbres. Et c’est vrai ! C’était justifié. Un rapport de trois inspections générales dénonçait toutes les dérives que recouvrait ce monopole : elles relevaient ainsi des prix variant de un à cinq dans la même entreprise pour la même prestation en divers lieux du territoire. On était dans l’impossibilité de sanctionner les entreprises qui le violaient, en raison d’une décision de la Cour de cassation. Sans compter les règles européennes.
Des concurrences illusoires étaient suscitées par des filiales des entreprises titulaires du monopole. En un mot, on pouvait déplorer à la fois un monopole biaisé et une concurrence faussée.
La loi, votée à une large majorité dans les deux assemblées, donnait leur place, moyennant les transitions nécessaires, à tous les acteurs (ou opérateurs) : régies, sociétés d’économie mixte, entreprises, associations. La contrepartie était que chacune devait être habilitée par l’État.
Car l’ouverture de la concurrence, souvent retenue, n’était qu’un aspect de la loi. L’autre aspect – aussi important, en tout cas indissociable – était la redéfinition du service public (pour le « service extérieur » des obsèques) à laquelle devaient et doivent se conformer tous les opérateurs habilités.
C’était – et c’est – une conception moderne : faire appel à une pluralité d’acteurs pour mettre en œuvre un service public dans le strict respect des lois et règlements.
Il y a eu la loi de 1993 puis celle de 2008 – j’en fus l’initiateur –, sans compter de multiples articles dans d’autres lois et textes réglementaires.
Avec, toujours, un seul objectif : défendre et soutenir les familles endeuillées et donc vulnérables.
Même si les principes posés par cette loi n’ont jamais été remis en cause, il y eut, au cours de ces trente dernières années, bien des évolutions, adaptations et sujets nouveaux dont il a été question lors du colloque (dont les actes complets paraîtront début 2023). J’en évoquerai succinctement plusieurs.
 
Les devis modèles. Ce dispositif acté par la loi de 2008 (et une autre loi ultérieure) vise à ce que les familles puissent facilement connaître le coût des différentes prestations liées aux obsèques et comparer ces coûts. Toutes les entreprises doivent donc faire part des prix auxquels elles effectuent les prestations fixées par un arrêté de 2010 du ministère de l’Intérieur en un « devis modèle » qui doit être diffusé et donc consultable par tous sur le site Internet des mairies des communes de plus de 5 000 habitants. La diffusion de ces devis est une obligation légale pour les opérateurs et pour les mairies. L’objectif est, bien sûr, que les devis soient comparables, ce qui n’empêche nullement toute entreprise à proposer toute autre prestation ou ensemble de prestations.
 
Les contrats obsèques. On m’a fait remarquer plusieurs années après la promulgation de la loi que le monopole qui était « sorti par la porte » avec la loi de 1993 « revenait par la fenêtre » avec les contrats obsèques. En effet, les banques et assurances auprès desquelles ces contrats étaient souscrits « orientaient » les souscripteurs vers tel ou tel groupe ou vers telle ou telle entreprise funéraire. C’est devenu illégal depuis un article de loi, que j’ai fait voter en 2004. La banque et l’assurance doivent respecter une stricte neutralité. Tout contrat obsèques doit être assorti d’une description détaillée et personnalisée des obsèques établie avec un opérateur funéraire. La conséquence est que les contrats « packagés » sont illégaux. J’ajoute que les contrats obsèques ont perdu de leur intérêt depuis qu’une loi, en vigueur, permet d’affecter les sommes inscrites sur un compte bancaire (ou compte d’épargne) du défunt – jusqu’à 5 000 € – au financement des obsèques.
 
La crémation. Les crémations étaient de l’ordre de 1 % des cérémonies d’obsèques lors du vote de la loi de 1993. Elles se sont beaucoup développées. Cela nous a conduits à écrire très précisément dans la loi de 2008 les règles s’appliquant à la destination des cendres (conservation au sein d’un cimetière ou dispersion dans un jardin du souvenir lui-même situé dans un cimetière ou en pleine nature). La même loi affirme que les restes humains, y compris les cendres après crémation, doivent donner lieu à « respect, dignité, décence. » C’est un principe de haute portée qui a déjà donné lieu à toute une jurisprudence.
 
Laïcité. Je précise enfin que toutes les dispositions législatives votées depuis trente ans restent dans la ligne des lois républicaines qui ont fondé le cimetière communal, public et laïque. Des circulaires ont été diffusées par Pierre Joxe et Michèle Alliot-Marie préconisant le dialogue au sujet des « carrés confessionnels ». Ce dialogue utile et précieux ne saurait toutefois à mon sens conduire à revenir sur ce principe de laïcité inscrit dans notre Constitution.
 
Il y aurait bien d'autres points à évoquer. Je suis, bien sûr, toujours disponible pour dialoguer sur toutes ces questions relatives aux obsèques. Pour austères qu’elles soient, ces questions sont toujours liées à des principes fondamentaux, à des valeurs essentielles et à des choix de société.
Jean-Pierre Sueur