Il ne fallut pas moins de dix recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour que soient adoptés – par défaut – le projet de loi de finances pour 2023 et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour la même année.
Je l’ai déjà écrit : je ne conteste pas le fait que cet article soit inscrit dans la Constitution. Il permet, en effet, à un gouvernement de gouverner, dès lors qu’il n’est pas l’objet d’une motion de censure. La réforme constitutionnelle de 2008 a d’ailleurs justement limité les possibilités offertes au pouvoir exécutif de recourir à cet article de la Constitution.
Mais je ne peux toutefois méconnaître les efforts délétères que peut avoir l’usage abusif et systématique de cet article de la Constitution.
C’est facile à voir depuis le Sénat, où nous avons débattu très longuement des textes auxquels l’article 49-3 a été appliqué dès qu’ils sont arrivés – partie après partie – à l’Assemblée nationale.
En effet, non seulement le gouvernement fait adopter les textes via l’article 49-3, mais surtout – et cela passe trop souvent inaperçu – il fait adopter les textes avec les amendements votés par le Parlement (Assemblée nationale et Sénat) qu’il choisit de retenir, à l’exclusion de tous ceux qu’il choisit de ne pas retenir.
Les conséquences sont loin d’être négligeables. En effet, dans la procédure « habituelle », chaque assemblée adopte ses propres amendements. Les différentes versions sont ensuite confrontées lors d’une commission mixte paritaire avant l’adoption finale du texte.
Avec la conception du 49-3 mise en œuvre par l’actuel gouvernement, il en va tout autrement. Ainsi les importantes avancées votées par le Sénat pour le financement des collectivités locales qui doivent faire face aux lourdes hausses de l’énergie… sont considérablement réduites au moment où le 49-3 est asséné, faute que nombre de nos amendements, pourtant votés, soient retenus par le pouvoir exécutif.
De même, un amendement du gouvernement pourtant peu débattu, et en tout cas rejeté, sur la prise en charge par les intéressés du coût du compte personnel de formation (CPF) – comme on verra ci-dessous – est adopté en dépit des solides réserves qu’il a suscitées dans les deux assemblées.
Au total, l’usage systématique du 49-3 porte réellement atteinte aux prérogatives du Parlement qui – rappelons-le ! – représente la Nation.
Jean-Pierre Sueur