Nous publions ci-dessous les quatre premières interventions de Jean-Pierre Sueur, en séance publique au Sénat, dans le débat sur le projet de réforme des retraites sur :

  • les déclarations confuses des membres du gouvernement ;
  • l’application des articles 40 et 45 de la Constitution qui ont pour effet de supprimer les rapports demandés ;
  • les principes en cause à l’article 1 ;
  • le refus par le gouvernement de communiquer la note du Conseil d’État.

La vidéo de la 4e intrevention

Version provisoire du compte-rendu intégral

Vendredi 3 mars
Sur les déclarations confuses des membres du gouvernement
M. Jean-Pierre Sueur. On commençait à s'ennuyer et voilà qu'on en arrive enfin aux préliminaires ! (Sourires.)
J'ai été frappé, au cours des dernières semaines, par la grande confusion qui régnait parmi les membres du Gouvernement.
Monsieur le ministre, j'ai suivi la dernière séance de l'Assemblée nationale consacrée à l'examen de ce texte. J'ai été extrêmement frappé : voilà un projet de loi sur lequel le Président de la République a décidé de jouer très gros en prenant le risque d'affronter une grande partie du peuple français. J'avais pensé que, dans cette situation, il aurait prêté une plus grande attention à la cohérence des arguments et à la solidité du dispositif.
En ce qui concerne cette fameuse séance, il me reste en mémoire la question des 1 200 euros. Combien de nos compatriotes toucheront cette somme, monsieur le ministre ? S'agit-il de 2 millions de personnes, de 40 0000, de 14 000, de 13 000 ? Pour seule réponse, nous avons un discours incompréhensible.
S'il en est ainsi pour ceux qui ont commencé à travailler à 17 ans, que se passe-t-il pour ceux qui ont commencé à 18 ans, à 19 ans ou à 16 ans ? Vous avez lu un discours, monsieur le ministre, auquel personne n'a rien compris !
Selon Mme Schiappa, ce texte est très favorable aux femmes. (Mmes Laurence Rossignol et Monique Lubin ironisent.) Mais quand on examine le projet de loi ligne par ligne, alinéa après alinéa, on voit qu'il les pénalise largement ! (Mmes Victoire Jasmin et Émilienne Poumirol, ainsi que M. Jean-Michel Houllegatte, applaudissent.)
Est-il possible de continuer de débattre dans une telle confusion ? Peut-être en huit jours avez-vous trouvé quelques réponses à ces questions ? Je m'interroge et je considère qu'il n'est pas sérieux de traiter les choses comme vous l'avez fait jusqu'à présent.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Sueur. Je préférerais que nous repartions sur d'autres bases. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE.)
 
Sur l’application des articles 40 et 45 de la Constitution qui ont pour effet de supprimer les rapports demandés : rappel au règlement
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Pierre Sueur. Mon rappel au règlement porte sur l'article 40 de la Constitution.
Je vous ai écoutée avec soin, madame la rapporteure générale. Je ne saisis pas pourquoi un certain nombre d'amendements ayant pour objet la remise d'un rapport au Parlement n'ont pas reçu un avis défavorable en vertu de l'usage que vous venez de rappeler – ce que l'on comprendrait très bien –, mais ont tout simplement été déclarés irrecevables au titre de l'article 40.
J'ai tout aussi attentivement écouté le président de la commission des finances, Claude Raynal, qui se réjouissait tout à l'heure à l'idée que l'amendement du groupe CRCE puisse être adopté. Pourquoi un certain nombre d'autres amendements de même nature ont-ils été jugés irrecevables au titre de l'article 40 ?
Cela présuppose, mes chers collègues, que ces rapports pourraient créer des dépenses ou des charges supplémentaires pour l'État, alors que, par définition, on ne peut pas savoir par avance ce qui figurera dans ces rapports. Par ailleurs, la production d'un rapport n'entraîne pas de coût particulier.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Ces amendements ont été déclarés irrecevables au titre de l'article 45 et non de l'article 40 de la Constitution !
M. Jean-Pierre Sueur. Si tel est le cas, madame la présidente de la commission, il faudra m'expliquer, amendement par amendement – nous pourrons avoir ces échanges lors des explications de vote –, pourquoi ces amendements ne présentent aucun « lien, même indirect, avec le texte » que nous sommes en train d'examiner.
En effet, aux termes de l'article 45 de la constitution, « tout amendement est recevable […] dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Pourtant, la plupart des amendements qui ont été déclarés irrecevables au titre de cet article…
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Jean-Pierre Sueur. … ont bel et bien un rapport, même indirect, avec ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, ce qui ne vous a pas échappé, madame la présidente de la commission. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
 
Samedi 4 mars
Sur les principes en cause à l’article 1
M. Jean-Pierre Sueur. Je rappellerai quatre principes.
Premièrement, le principe du dialogue social. Chacun voit bien qu'il est mis à mal, puisque les organisations syndicales s'opposent unanimement à ce texte.
Deuxièmement, le principe du respect des engagements pris. Il est complètement bafoué par les mesures que vous nous proposez, monsieur le ministre.
Troisièmement, le principe de transparence. Je vais revenir à ce propos sur cette fameuse note du Conseil d'État...
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Encore…
M. Jean-Pierre Sueur. … qui revient comme un serpent de mer dans ce débat.
Monsieur le ministre, soyons clairs : il ne s'agit tout de même pas d'un document classé secret-défense – on est loin de la bombe atomique ! – ou qui serait si épouvantable que l'on ne pourrait pas le laisser entre toutes les mains… Une telle conception est complètement infantilisante !
Si le Conseil d'État a réalisé un travail, c'est évidemment au service de la République. Par conséquent, les parlementaires de la République doivent pouvoir en prendre connaissance.
Cette histoire est totalement ridicule. Monsieur le ministre, cessez ces arguties ! Ce document permettrait d'éclairer le débat ; d'ailleurs, sa diffusion éviterait certainement les éventuels faux procès.
Quatrièmement, le pragmatisme. Je ne vais pas revenir sur l'exemple des clercs de notaires avancé par Marie-Noëlle Lienemann et Victorin Lurel, mais il montre clairement que vous avez choisi le dogmatisme plutôt que le pragmatisme.
De notre côté, nous plaidons pour le pragmatisme dans la prise en compte des situations spécifiques liées notamment à la pénibilité, en particulier lorsque le régime est équilibré ou, encore plus, lorsqu'il est excédentaire. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
 
Sur le refus par le gouvernement de communiquer la note du Conseil d’État
M. le président. L'amendement n° 1371 n'est pas soutenu.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l'amendement n° 1404.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, vous avez fait allusion précédemment à un ancien président de la commission des lois. Comme nous ne sommes que deux dans cet hémicycle à pouvoir nous prévaloir de ce titre, j'ai cru comprendre que vous vous adressiez à moi ; je crois avoir bien compris… (Sourires sur les travées du groupe SER.)
François Hollande a un jour décidé de rendre publics les avis du Conseil d'État. Je crois que vous avez une certaine connaissance de M. François Hollande et que, à cette époque, vous partagiez bien des choses avec lui. (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER.)
M. Olivier Dussopt, ministre. Plus que vous aujourd'hui !
M. Jean-Pierre Sueur. Je ne comprends pas votre argumentation. Je ne vous l'apprends pas, le Conseil d'État a deux fonctions : il est un juge et le conseiller du Gouvernement ; il existe d'ailleurs une littérature abondante sur la compatibilité entre ces deux missions. En tant que conseiller du Gouvernement – c'est de cela qu'il s'agit ici –, le Conseil d'État donne de bons conseils au Gouvernement et je suppose qu'il fait état, dans la note dont il est question, d'appréciations judicieuses.
M. Xavier Iacovelli. Ce n'est pas le sujet !
M. Jean-Pierre Sueur. Je ne vois pas en quoi le fait, pour le Gouvernement, pour vous, monsieur le ministre, de décider de partager largement ces appréciations serait contraire à la séparation des pouvoirs. Ça le serait si vous étiez contraint de le faire, mais rien ne vous y oblige, vous en avez simplement la possibilité.
Nous vous renouvelons donc cette demande, conforme à une doctrine que vous avez certainement approuvée par le passé. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. Monsieur Sueur, vous profitez de ma générosité, car vous n'avez pas vraiment défendu votre amendement… (Sourires sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Pierre Sueur. La parole est libre, monsieur le président !