Que le projet de loi sur les retraites soit passé au Sénat où – rappelons-le – la droite est clairement majoritaire, cela pourrait paraître, après tout, attendu, banal et normal.
Mais, comme chantait Jacques Brel, « il y a la manière… » Et pour que ce projet finisse par passer, il y eut d’abord – on le sait – l’utilisation plus que douteuse de l’article 47-1 de la Constitution qui s’applique aux lois de finances et non aux projets sociaux, et restreint la durée des débats.
Mais il y eut aussi le recours à l’article du règlement du Sénat réduisant le temps de parole avant tout vote à un « pour » et un « contre », à un autre article réduisant à un orateur par groupe la possibilité d’intervention sur un article ou en explication de vote… Il y eut encore la procédure ayant pour effet de donner la priorité à l’examen d’un amendement qui a pour conséquence de faire « tomber » un grand nombre d’autres amendements… Et il y eut enfin, pour couronner le tout, le recours au « vote bloqué » qui a pour effet, je le rappelle, de ne permettre qu’un seul vote global sur l’ensemble du texte intégrant les seuls amendements choisis par le gouvernement – ce qui, dès lors, annihilait et dévitalisait le débat parlementaire, contraignant les membres de l’opposition – ce qu’ils ont fait pourtant – à défendre leurs amendement « dans le vide », sans que leur parole ne pût avoir aucun effet…
J’ajoute que, de surcroît, Bruno Retailleau a même dû consentir à retirer un amendement à lui très cher sur les régimes spéciaux – nous ne nous en plaindrons pas ! – juste pour faire encore « tomber » quelques centaines d’amendements des groupes de gauche, et donc gagner du temps afin que le vote final ait à tout prix lieu dans les délais requis, ou plutôt espérés !
 
Et maintenant, que va-t-il se passer ?
La Commission mixte paritaire, qui se réunit mercredi, adoptera probablement un texte proche de celui voté par le Sénat. Mais celui-ci obtiendra-t-il une majorité à l’Assemblée Nationale ? Rien n’est moins sûr. Et donc, la Première ministre aura-t-elle recours à l’article 49-3 de la Constitution, alors qu’elle a constamment dit qu’elle ne le ferait pas ? Un tel recours se traduirait par une adoption SANS VOTE pour un texte d’une telle importance, ce qui susciterait une désapprobation sans pareille, et ce qui, inévitablement, accroîtrait l’incompréhension, la tension et, très souvent, la colère… Les organisations syndicales, unies comme jamais, ont demandé à être reçues par le président de la République. Celui-ci a répondu par une lettre sans enthousiasme – c’est le moins qu’on puisse dire ! – les renvoyant… au ministre du Travail !
Alors que le président de la République avait fait de larges concessions à la suite du mouvement des « gilets jaunes », serait-il compréhensible qu’il continue à regarder ailleurs, qu’il joue l’usure, que sa position reste aussi inflexible alors que la désapprobation est aussi forte et que des mobilisations sans précédent ont lieu dans tout le pays, qu’il s’agisse des grandes, moyennes ou petites villes !
Il est encore temps.
Mais il est bien tard.
Jean-Pierre Sueur