ernauxC’est un livre sur les hypermarchés publié, aux éditions du Seuil, dans une collection dirigée par Pierre Rosanvallon dont l’ambition est de restituer « le roman vrai de la société française ».
Annie Ernaux y fait le journal de sa fréquentation, une année durant, de l’hypermarché Auchan du centre commercial des Trois-Fontaines situé à Cergy-Pontoise.
Le récit est vif, acéré. On ne s’ennuie jamais. Au travers de mille détails de la vie commune des clients et employés dans cet hypermarché, on apprend beaucoup sur la société française. A vrai dire, on n’apprend pas vraiment. On détecte plutôt. Annie Ernaux a ainsi le don de dénicher le sens de ce qui, apparemment, n’a pas de signification. C’est là, pour elle, la fonction singulière de l’écrivain. « Voir pour écrire, c’est voir autrement » nous dit-elle (p. 71).
Ainsi perçoit-elle la profonde ironie de la pancarte apposée au-dessus d’un étal de bonbons : « La consommation sur place est interdite. Merci de votre compréhension. La vie. La vraie. Auchan » (p. 27).
Elle constate que, « dans le monde de l’hypermarché et de l’économie libérale, aimer les enfants, c’est leur acheter le plus de choses possibles » (p. 28).
Elle s’amuse de la « savonnette à 6,99 € le kilo et des moules à 2,99 € » (p. 34).
Elle analyse les stratégies des clients à l’approche des caisses, scrute, dans la file d’attente, les regards posés « anxieusement sur (…) les autres clients qui évaluent leur chance de passer vite à votre dextérité ou à votre maladresse » (p. 35-36) et restitue le « calcul subtil combinant la vitesse supposée de chacune des caissières et le nombre d’articles du client devant soi » (p. 50).
Elle s’étonne que nul ne se révolte devant cet univers qui joue son rôle « dans le maintien de la résignation sociale » (p. 71) et constate que « la docilité des consommateurs est sans limite » (p. 36).
Elle note l’effondrement au Bengladesh d’une usine entraînant 1 127 morts. Les ouvrières y étaient payées 29,50 € par mois. Elles faisaient des teeshirts pour les marques « Auchan, Camaïeu et Carrefour ».
C’est un livre qui raconte un pan de notre vie, de la vie du monde – et qui donne à réfléchir.

Jean-Pierre Sueur

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