Il y a, dans une partie de la classe politique de notre pays – beaucoup plus d’ailleurs qu’au sein de la population – une singulière schizophrénie au sujet de la réforme territoriale.
Chacun s’accorde pour vilipender, ou au moins dénoncer, le fameux « millefeuille territorial » (et on n’aura jamais autant fait de publicité à cette fameuse pâtisserie !) : il y a trop de niveaux (quatre au moins, voire davantage), trop de complexité ; on ne sait plus qui fait quoi ; les citoyens ne s’y retrouvent plus ; tout cela est redondant et coûteux ; les compétences sont coupées en morceaux ; en bref, il est urgent de réformer cela.
Et puis, dès qu’on propose de réformer le dispositif et, par exemple, de supprimer, à terme, l’un des quatre niveaux, c’est « haro sur le baudet ! ». Quoi ! Vous n’y pensez pas. C’est impossible, impensable, injustifié ; il n’y a pas eu suffisamment de concertation ; ça ne peut pas marcher, et d’ailleurs, ça ne marchera pas !
Nous en sommes là.
Alors, je veux parler clair. Et dire que la réforme est nécessaire. Elle s’inscrira d’ailleurs dans une série de réformes, la création des métropoles étant la dernière en date.
Pour simplifier, sans doute excessivement, les choses, je dirai que la France du XIXe, et, pour une large part, du XXe siècle était organisée autour de deux échelons principaux : les départements et les communes.
Je pense que la France du XXIe siècle sera organisée autour de régions fortes et de communautés fortes.
J’entends par communautés : les métropoles, communautés urbaines, communautés d’agglomération et communautés de communes, désormais généralisées sur la totalité du territoire.
Je précise que – comme je l’ai toujours dit – la montée des communautés ne doit pas se traduire par la disparition des communes. Celles-ci restent une indispensable instance de proximité. Mais la condition de leur survie, c’est qu’elles mutualisent les compétences liées – en particulier – au développement et à l’aménagement au sein des communautés.
Ces communautés - dans leur diversité – sont devenues des acteurs essentiels et efficaces de nos territoires.
Nos régions, elles, sont restées dans le paysage européen et international, trop petites, dotées de trop faibles ressources et de prérogatives trop limitées.
Comparons avec nos voisins européens. Dans un pays proche – certes fédéral – les régions (ou ce qui correspond à nos régions) ont des capacités d’intervention dans le domaine économique beaucoup plus importantes que chez nous. Cela explique pour partie le différentiel en matière de PME d’une certaine taille.
Nous ne devons pas hésiter. Il faut nous doter de régions plus fortes, disposant de davantage de moyens au service de l’économie et de l’emploi.
Cela veut dire qu’il faut aller vers des régions plus grandes – mais surtout dotées d’une plus forte autonomie financière et fiscale, c’est-à-dire de moyens significativement plus importants, ce qui, en cette période où il faut réduire les dépenses publiques, se traduira nécessairement par des choix très difficiles et donc très courageux.
Et les départements ?
Manuel Valls a fixé un horizon et même une date dans sa déclaration liminaire à l’Assemblée Nationale. Il a précisé les choses au Sénat le lendemain.
Il est des cas où l’on pourra redistribuer, à terme, les compétences des départements entre les métropoles et les futures régions.
Il est même un cas, celui de Lyon, pour lequel c’est déjà inscrit dans la loi, puisqu’en vertu de la loi votée par le Parlement en décembre 2013, la future métropole de Lyon exercera sur son territoire toutes les compétences du département, ce qui entraînera forcément en 2020 l’élection des membres de son conseil au suffrage universel direct.
Chacun voit que – comme l’a d’ailleurs proposé François Hollande – ce dispositif pourra s’appliquer à d’autres métropoles et à d’autres territoires.
Il est clair qu’il est nombre d’autres territoires où les choses se présentent différemment, en particulier dans le monde rural et autour des communes moyennes. Dans ces territoires, on imagine difficilement que des communautés de communes puissent gérer les compétences sociales exercées aujourd’hui par le département. Et il ne serait pas efficace que ces compétences soient gérées par des grandes régions forcément plus éloignées du « terrain ». Il faut donc préparer une diversité d’approches correspondant à la diversité des territoires.
Il n’y aura pas de modèle uniforme. Et c’est tant mieux.
Il est d’ailleurs contradictoire de vouloir décentraliser de manière exclusivement centralisée !
Le Premier ministre a raison de fixer le cap.
Un cap n’est pas un dispositif verrouillé à double tour.
C’est l’expression d’une volonté.
Une volonté qui est nécessaire et sans laquelle nous ne sortirons pas de la schizophrénie française.

Jean-Pierre Sueur

Sur ces sujets, lire deux articles du Monde daté du 13 avril :
.