Par Jean-Pierre Rioux


51UovSVqzRL. SY300 D’une cruciale actualité est, en cette semaine où nous commémorons le centième anniversaire de la mort de Charles Péguy, le livre que Jean-Pierre Rioux vient de consacrer aux derniers jours de ce grand Orléanais, « tué à l’ennemi », à Villeroy, le 5 septembre 1914, dès les commencements de la bataille de la Marne, sous le titre La mort du lieutenant Péguy, 5 septembre 1914 (éditions Taillandier).
Jean-Pierre Rioux cite d’emblée le capitaine d’état-major Henry Dufreste qui, venu sur le terrain le 6 septembre, écrit : « Premier de la ligne, chef de section, un lieutenant est tombé à sa place réglementaire, alors qu’il menait ses hommes à l’attaque. C’est un petit homme d’apparence chétive, à côté de son voisin au type de colosse (…), l’expression de son visage est d’un calme infini. Lui aussi paraît plongé dans un profond sommeil. A son annulaire gauche, une alliance. Je me penche sur la plaque d’identité : Péguy, il s’appelait Péguy » (p. 13).
Péguy fut ainsi l’un des « premiers tombés de l’immense bataille du tout pour le tout, bientôt "victoire" et même "miracle" de la Marne (…) tombé debout, à sa place d’officier » (p. 14).
Bien que réserviste, Péguy a voulu prendre sa place, assumer sa mission d’officier de l’armée active, à laquelle il était préparé.
Ce fut une préparation intime, intérieure, profonde. Péguy voulut « partir en paix » (p. 19). Et Jean-Pierre Rioux décrit en détail toutes les visites qu’il fit, tous les amis qu’il revit ou chercha à revoir avant de partir.
Jean-Pierre Rioux l’imagine aussi « soldat de la République » partant pour « refaire quatre-vingt-treize », avec en tête le premier vers qu’il ait entendu, le « Ô soldats de l’an II, ô guerres, épopées » du père Hugo (p. 51).
Il revient sur les conceptions de Péguy sur le patriotisme et l’armée, cite Notre jeunesse – « Notre socialisme (…) n’était nullement antifrançais, nullement antipatriote, nullement antinational » (. 70) – sur ses combats contre l’antimilitarisme de Gustave Hervé (p. 77), sur la « prière pour nous autres charnels », sommet du grand poème Ève (p. 83) et sur la certitude où était Péguy de faire « la dernière des guerres » (p. 85).
Suit une description minutieuse des approches, des marches, des avancées, des retours auxquels la section de Péguy est contrainte de se livrer. Lui ne cesse d’encourager ses hommes. Il fait preuve d’une incroyable vitalité, d’un optimisme d’exception, cependant que s’additionnent les ordres, les contre-ordres et les incertitudes, jusqu’à l’affrontement décisif (pp. 97 à 152).
Jean-Pierre Rioux nous livre ensuite les premiers témoignages. Jacques Copeau écrit : « Sa mort, c’est la preuve de tout le reste, c’est le sceau de la réalité de son œuvre » (p. 160). Henri Bergson écrit à sa veuve, Charlotte : « Je n’ai pas connu d’âme plus loyale, plus noble, plus haute que celle de Charles Péguy » (p. 161). Il nous décrit les premières récupérations – avant tant d’autres – , celles de « la droite nationale et cléricale qu’annonce l’article de Barrès » (p. 168), cependant que « la partie la plus dreyfusarde de la mouvance péguyste refuse que son grand homme puisse être enseveli sous les fleurs d’un Barrès » (p. 169), – et donc les diatribes, les controverses et les polémiques que la mort n’arrêtera pas et qui ne s’arrêteront pas « malgré les commémorations officielles et les bouquets d’épis mûrs et de blé moissonné qui ornent les discours » (p. 201).
Le dernier chapitre, « Si le grain ne meurt » (pp. 201-231) est consacré à la postérité littéraire et historique de Péguy, et est tout à fait complémentaire du chapitre « Péguy après Péguy » de la récente biographie de Géraldi Leroy.
Je terminerai par une citation puisée dans ce livre précis, précieux, sans précédent et sans équivalent. Elle est de Maurice Clavel (p. 218) qui « prophétisait » en 1973 : « Vous verrez comme Péguy envahit l’avenir ».

Jean-Pierre Sueur

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