Il faut remercier Christian Jamet pour avoir écrit ce livre – Le Loiret des écrivains et des artistes – qui sera un guide précieux pour tous ceux qui aiment notre département du Loiret et qui l’aiment comme terre de culture. Et il faut également remercier Corsaire Éditions pour avoir publié cet ouvrage, remarquable illustré.
J’ai toujours pensé que nos villes et villages n’étaient pas seulement faits de pierres, mais aussi des « pierres vives » – pour reprendre le titre d’une célèbre collection des éditions du Seuil – que sont les œuvres de tous ceux, écrivains, artistes – tant d’autres aussi – qui y ont vécu et y ont créé des œuvres de l’esprit qui nous accompagnent lorsque nous marchons dans les rues, lorsque nous contemplons les paysages, et rêvons à ce qui fut et sera, puisque nous ne marcherons qu’un temps dans ces rues et ne regarderons qu’un temps ces paysages qui nous survivront.
Charles Trenet a ainsi chanté l’« âme des poètes », qui flotte et flottera dans les rues après que ceux-ci ont – ou auront – disparu.
C’est ainsi que Christian Jamet nous convie à des promenades inspirées en ce Loiret qui nous est cher : des bords de Loire – qui sera insensible au méandre de Guilly et à la découverte, depuis l’autre côté du fleuve, de l’abbaye de Saint-Benoît ? – aux villes, aux villages, à la forêt, immense et intime à la fois. On dit souvent que la forêt sépare l’Orléanais du Gâtinais. J’ai toujours pensé qu’au contraire elle les rapprochait : j’y reviendrai.
Plutôt que de rendre compte de toutes les pages du livre et de toutes les histoires qu’il raconte, je préfère vous inviter à déambuler en sa compagnie – comme jadis, plutôt que naguère, je lisais à Bièvre le poème éponyme de Victor Hugo à une auditrice indulgente.
Je préfère prendre le livre au hasard. Et vous livrer quelques pépites en ajoutant que dès que vous aurez commencé à le lire, vous ne le quitterez plus.
…Rendons-nous, pour commencer, à Escrennes, petite commune du Pithiverais où, devant la mairie, nous accueille le buste imposant de Louis Boussenard. Louis Boussenard, natif, donc, d’Escrennes, géant de deux mètres de haut, fut un écrivain prolifique. Sait-on que ce médecin « républicain et anticlérical » fut, entre 1880 et 1908, l’un des auteurs les plus lus de l’époque, à l’égal de Jules Verne, et dont les livres d’aventure – les Bandits de la mer, les Étrangleurs du Bengale, les Mystères de la Guyane, l’Île en feu ou Le tour du monde d’un gamin de Paris – étaient publiés en feuilletons, chaque épisode étant attendu avec impatience, avant d’être édités en livres qui se vendaient à de forts tirages ? Jean-Paul Sartre écrit dans Les Mots combien cette œuvre l’aura marqué. Ajoutons que Louis Boussenard publia une autre œuvre, souvent virulente, les Lettres d’un paysan, écrite en patois beauceron et publiée au fil du temps dans le périodique Le Gâtinais. Il y a une rue Louis-Boussenard à Escrennes. Il y en a une autre à Orléans. Mais jadis célèbre, son œuvre est aujourd’hui oubliée…
Poursuivons notre chemin et rendons-nous à Augerville-la-Rivière, dont le château est encore aujourd’hui très fréquenté par des célébrités parisiennes – et bien d’autres visiteurs aussi. Sait-on qu’Eugène Delacroix, qui était l’ami du propriétaire – Jacques Antoine Berruyer, avocat de Chateaubriand – y séjourna très souvent, y faisant de très nombreux dessins et écrivant dans son journal : « Je remarque dans les rochers à formes humaines et animales de nouveaux types plus ou moins ébauchés ; se dessine même une espèce de sanglier et une sorte d’éléphant, nombre de corps, de contours, de têtes de taureaux (…) Ces formes bizarres prennent là une vraisemblance. » ? Sait-on aussi que ses promenades et son goût du dessin conduisent Delacroix jusqu’à Malesherbes, où il adore les « vieilles habitations » et le « château laissé à l’abandon » ?
Revenons à Lailly-en-Val, au sud de Beaugency, où vécut, au Château des Bordes, Eugène Sue, le célèbre auteur des Mystères de Paris et du Juif errant. Dénigré par ses détracteurs, au motif qu’il serait devenu un châtelain, Alexandre Dumas vint à sa rescousse en révélant qu’Eugène Sue vivait non dans le château, mais dans une grange… qu’il fit savamment aménager. Après un échec aux élections législatives dans le Loiret, il est élu député socialiste de la Seine, mais n’oublie pas pour autant Lailly-en-Val où il continue d’écrire ses Mystères du peuple.
Non loin de là, Meung-sur-Loire accueillit nombre d’écrivains et d’artistes, Jehan de Meung qui contribua avec Guillaume de Lorris et d’autres, entre Meung et Lorris, à l’écriture du Roman de la Rose – qui ne compte pas moins de 18 000 octosyllabes. François Villon fut – on le sait – emprisonné à Meung-sur-Loire, où il connut nombre de sévices. Le peintre Dominique Ingres y séjourna et y travailla. Gaston Couté, qui était né à Beaugency, y vécut. Enfin Georges Simenon aima lui aussi Meung-sur-Loire, si bien que dans un certain nombre de ses livres, le commissaire Maigret se meut dans un décor qui est à l’évidence celui de cette ville…
… J’arrête là. Car, à vrai dire, il faudrait citer tout le livre.
Je vous laisse donc le soin de retrouver au fil de l’ouvrage de Christian Jamet : à Orléans, Jean-Baptiste Corot, Aignan-Thomas Desfriches, Voltaire, Paul Gauguin, Charles Péguy, bien sûr, Georges Bataille et tant d’autres ; à Saint-Jean-de-Braye, Henri Gaudier-Brzeska ; à Saint-Denis-de-l’Hôtel et Châteauneuf-sur-Loire, Maurice Genevoix et Florian ; à Saint-Benoît-sur-Loire, Max Jacob ; à Bondaroy, Jean de la Taille ; à Égry, Zao Wou Ki ; à Bromeilles, Henri Troyat ; à Yèvre-le-Châtel, Vieira da Silva ; à Pithiviers et à Courcelles, Lubin Baugin ; à Neuville-aux-Bois, Désiré Lubin (qui fut le maire de la commune) ; à Montargis, Anne-Louis Girodet ; à Châtillon-Coligny, Colette ; à Conflans-sur-Loing, Triqueti ; à Triguères, Hervé Bazin puis Mouloudji ; à Courtenay, Aristide Bruant ; et au Bignon-Mirabeau, Patrice de la Tour du Pin, grand poète – lui aussi trop méconnu dans le Loiret.
Et cette liste est loin d’être exhaustive : que les autres me pardonnent !
Je finirai en citant Lamartine. Christian Jamet nous explique qu’il fut élu député dans le Giennois le 8 juillet 1849 et occupa cette fonction « sans jamais mettre les pieds dans le Loiret, ni pendant la campagne électorale, ni après son élection. » On pouvait certes, alors, se présenter dans nombre de départements à la fois – mais on conviendra que, vu ses états de service, l’auteur du Lac ne méritait pas de figurer parmi les « écrivains et artistes du Loiret »…
Jean-Pierre Sueur