Trop de livres politiques sont vite faits, mal faits. Ce ne sont pas toujours ceux qui les signent qui les écrivent. Si bien qu’ils sont bientôt oubliés…

Tel n’est assurément pas le cas de l’ouvrage que vient de publier François Hollande, Les leçons du pouvoir, dont on mesure à chaque page combien les analyses sont précises, les arguments et les explications solides – on les trouve parfois trop tardives ! – et combien l’auteur évite le piège de l’autosatisfaction et sait assumer ses erreurs.

C’est pourquoi ces quelque 400 pages méritent d’être lues et méditées.

François Hollande évite aussi les pièges et les illusions de la chronologie en donnant pour titre à chacun de ses dix-huit chapitres un verbe employé à l’infinitif (décider, réformer, affronter, regretter, rompre, renouer…) dans une visée que les linguistes qualifieraient de performative.

En politique, plus qu’ailleurs, les mots sont des actes et dire, c’est faire.

Le livre revient sur les points forts et les réussites du quinquennat, comme l’ancrage de la Grèce dans l’Europe : « La France a réussi à faire prévaloir l’intérêt général de l’Europe. Il passait par le sauvetage de la Grèce. Aurais-je cédé là-dessus que c’en était fait de la solidarité au sein de la zone euro et donc de son avenir […] Rien n’aura été acquis pour nous. »

Dans les réussites, il y a bien sûr l’Accord de Paris sur le climat. Il y a le mariage pour tous – sur lequel personne ne reviendra. Il y a une grande quantité de lois et de réformes qu’il serait fastidieux d’énumérer ici.

Et il y a assurément pour François Hollande, à rebours de tous propos démagogiques et simplistes, une politique économique qui, conformément aux préconisations du rapport Gallois, se traduit par le CICE (quelles que soient les critiques que l’on a pu faire sur les modalités de sa mise en œuvre) et le pacte de responsabilité.

Je n’ai – pour ma part – qu’un regret, c’est que le rapport Gallois n’ait pas été mis en œuvre dès le premier jour du quinquennat. Le « retard à l’allumage » n’a, en effet, pas été sans conséquence.

Le discours du Bourget

François Hollande a choisi de mener cette politique, car il était intimement persuadé que la perte de productivité des entreprises, le sens de la réduction de la part de l’industrie dans notre activité économique devaient donner lieu à des mesures puissantes et volontaristes. Il nous offre à cet égard une relecture du discours du Bourget, où cela était dit et redit. Je m’en souviens, j’y étais. On n’a malheureusement retenu de ce discours qu’une seule phrase.

Salutaire, nécessaire et tragique fut aussi la part prise par François Hollande au combat contre le terrorisme, au Mali, en Afrique, en Syrie – et aussi, bien sûr, en France, où il lui revint de lutter sans trêve pour prévenir de nouveaux attentats après avoir exercé les si dures missions qui lui incombaient à la suite des terribles attentats qui nous ont touchés.

Il nous dit sans détour que, devenu président, la réalité de la mort ne le quittera jamais.

François Hollande reconnaît ses erreurs. Il les explique. Il donne des justifications. Mais il ne biaise pas. Ainsi en est-il pour la déchéance de nationalité – que, comme d’autres, je n’aurais pas pu voter –, pour la loi El Khomri qui aurait dû être proposée plus tôt à la suite d’une concertation plus approfondie ou pour la politique fiscale, sur laquelle il revient longuement.

Il nous parle beaucoup des hommes et des femmes qui furent ses partenaires – Poutine, Merkel, Obama –, de ses Premiers ministres et de ses ministres.

Sur ses relations avec Emmanuel Macron, je note qu’il donne priorité aux faits, à la description de ce qui s’est passé – plutôt qu’aux jugements moraux, même si certaines phrases ne dissimulent pas les blessures.

Illusoire alternative

La dernière partie du livre me paraît être la plus importante. François Hollande s’y interroge longuement sur la crise de la social-démocratie en Europe.

Et il pourfend ceux qui, au nom d’une gauche prétendument radicale, du populisme, de la démagogie et d’un état d’esprit foncièrement anti-européen, prétendent opposer aux valeurs, à l’acquis et à l’espérance de la social-démocratie (du socialisme français) une illusoire alternative.

Il faut, pour lui, faire à cet égard un choix clair qui sera du même ordre et aura la même portée que celui qui a été fait lors du Congrès de Tours, en 1920.

Il écrit : « Le socialisme serait-il condamné à évoquer son passé comme pour mieux tirer un trait sur son avenir ? […] Mon expérience m’a confirmé  dans cette certitude : il ne s’agit plus de rêver d’une Europe nouvelle […]. Il s’agit de savoir s’il faut partir ou rester. Il n’y a plus de demi-mesure. Tout le reste est artifice. On n’est pas à moitié dans l’Union économique et monétaire. On n’est pas à moitié dans Schengen. On est Européen ou on ne l’est pas […]. Avec la gauche radicale d'aujourd'hui, il n'y a rien. Ni modèle ni construction. Pas même une idéologie. Seulement des discours, des incantations, des invectives. Avec cette gauche-là, si tant est qu'elle reste de gauche, les conservateurs comme les libéraux n'ont rien à craindre. Ils ne sont pas la première cible. C'est la social-démocratie qui est visée. C'est elle la généreuse, la sérieuse, la laborieuse qui doit disparaître. C'est elle qu'il faut empêcher, arrêter et même anéantir. L'obliger à se soumettre et à perdre toute crédibilité ou bien la renvoyer à des coalitions centristes où elle serait reléguée ainsi à des tâches subalternes pour être mieux accusée de collaboration et de compromission. Voilà le projet. Il est funeste. Ce n'est pas la mort lente de la social-démocratie, c'est la disparition assurée de la gauche. Ainsi le socialisme risque-t-il peu à peu de s'effacer, englué dans une Europe où il pèse de moins en moins, condamné par une radicalité qui s'est emparée de la longue histoire de l'insoumission pour la vider cyniquement de son sang. C'est en regardant en face cette menace que la social-démocratie peut retrouver la force de convaincre les électeurs qui l'ont quittée, en étant clair sur sa vision, en écartant la surenchère et en relevant la tête, c'est-à-dire en assumant son bilan, car d'autres périls s'annoncent. »

Je ne prétends pas avoir résumé les 400 pages de ce livre. J’espère  simplement avoir montré combien il mérite d’être lu.

Jean-Pierre Sueur

  • François Hollande signera son livre le mardi 25 avril à la Librairie Nouvelle, place de la République à Orléans, de 16 h 30 à 19 h 30.